Né à Bruxelles dans un pays trop petit par rapport aux nécessités du monde moderne, j’ai toujours vécu avec le sentiment que l’utilité d’une unité européenne était une évidence.
La structure européenne a
souvent servi d’intermédiaire au service de gouvernements français et autres
qui voulaient appliquer des mesures impopulaires sans les assumer. Alors ils les
faisaient prendre ces mesures " au nom de l’Europe " et
ensuite l’appliquaient en prétendant y être obligés. La commission européenne a
toujours collaboré dans ce sens. Sa structure antidémocratique et son absence
de transparence y aidait beaucoup.
La constitution Giscard (je
l’appelle ainsi parce que cela me fait mal de l’appeler
" constitution européenne ") est présentée comme un pas
pour rapprocher les peuples d’Europe. On essaye de nous faire croire que toute
personne qui serait pro-européen devrait être pour et que ceux qui seraient
contre, seraient anti-européens.
En fait , cette constitution
est la plus grosse agression contre la démocratie qui ait été tentée dans un
pays où je vivais, depuis 60 ans. Cette agression est camouflée sous
un déguisement de " constitution européenne " et tout est
fait pour qu’on s’intéresse à autre chose que son contenu.
Pour éclairer, je voudrais faire la comparaison avec
2 cas de constitutions de groupes de pays qui se sont, un jour, rassemblés en
une fédération et ont créé une constitution fédérale : les Etats Unis
d’Amérique et la fédération allemande.
1787 : Une constitution rassemble les Etats Unis
d’Amérique (U.S.A.)
Après avoir acquis leur indépendance vis à vis de
l’Angleterre, 17 états indépendants d’Amérique (Pensylvanie, Virginie, Ontario,
Floride etc...) créent une constitution pour se fédérer.Que mettent-ils dans
cette constitution ?
Elle définit les compétence qui resteront aux états
et celles qui seront transférées à l’état fédéral. Et, puisqu’ils voulaient
permettre aux futurs électeurs et aux générations suivantes de choisir leur
politique économique et sociale en utilisant leur droit de vote, ils n’ont
surtout pas définit de politique économique ou sociale dans la constitution.
Tout le monde comprenait très bien que si la constitution décidait de la
politique à mener, les électeurs n’auraient plus le droit de la choisir en
exerçant le droit de vote.
Aujourd’hui la politique économique et sociale des
USA est de droite. Mais ce n’est pas la faute de la constitution, c’est hélas
parce que les américains votent à droite.
La constitution américaine permet à ses citoyens de
changer de politique s’ils votaient pour d’autres dirigeants, parce que la
politique à suivre n’est pas écrite dans la constitution.
La constitution Allemande réunit des états allemands
(lander), définit les compétences du parlement et de l’exécutif fédéral et le
niveau de décisions qui reste aux parlements des états locaux et à leurs
exécutifs mais ne décide pas de la politique sociale ou économique à suivre.
Les électeurs allemands peuvent encore aujourd’hui
changer de politique, s’ils le veulent, parce que la politique à suivre
n’est pas écrite dans la constitution.
Différence entre la
constitution Giscard et les autres.
Les constitutions fédérales américaine et allemande
avaient transféré aux états (parlement, président) fédéraux les droits de
décision qu’elle avait enlevés aux élus locaux mais ne les ont pas supprimés.
La constitution Giscard supprime le droit de choisir (par le droit de vote) la politique économique et
sociale à mener, en l’écrivant dans la constitution. Si par malheur cette
constitution était acceptée, les électeurs français et européens perdraient le
partiellement le droit de choisir . Ni en votant aux élections françaises, ni
en votant aux élections européennes et ils ne pourraient modifier les règles
économiques et sociales écrites dans la constitution.. C’est pour cela que
c’est une véritable agression contre la démocratie, déguisée en
" constitution européenne ".
Cette constitution est faite pour qu’une fois votée ,
il soit presque impossible de la changer. Par exemple elle interdit toute
mesure d’harmonisation fiscale européenne et en même temps elle donne le droit
de veto à un paradis fiscal comme le Grand Duché de Luxembourg contre tout
changement de constitution.
Quelle constitution européenne ?
La seule constitution européenne acceptable serait
une constitution qui permettrait aux électeurs français de décider de certains
choix politiques qui resterait au niveau des états, et au parlement européen de
décider pour les décisions transférées à l’Europe. Tout le contraire de ce
qu’est la constitution qu’on nous propose de ratifier par référendum.
Certain disent : la constitution Giscard
contient des règles économiques et sociales de droite. Mais cette politique de
droite , avec Raffarin, on l’a déjà !
Oui, bien sur, mais avec les règles
constitutionnelles actuelles on pourrait encore choisir autre chose à une
prochaine élection. Avec la constitution Giscard , on ne pourrait plus
réellement choisir ni en votant aux élections françaises ni en votant aux
élections européennes.
Diviser ou rapprocher les peuples d’Europe?
La constitution américaine visait à rapprocher les
populations des états de l’union pour les fusionner en un seul peuple . La
constitution allemande vise aussi à rapprocher les allemands.
La constitution Giscard rend obligatoire
l’unification du marché et surtout de la finance mais s’oppose à toute mesure
de créer un droit social européen ou à l’harmonisation fiscale (en instaurent
le droit de veto pour n’importe quel micro-état). Une vraie constitution européenne
tendrait à rendre les peuples d’Europe plus solidaires alors que la
constitution Giscard fait tout pour les rendre à l’avenir toujours plus rivaux
et concurrents.
Tromper les pro-européens !
Le fait d’utiliser les sentiments pro-européens d’une
partie de la population pour faire passer une telle disparition de la
démocratie devrait faire réagir non seulement tous les démocrates mais aussi
tout citoyen qui souhaite un dépassement des frontières. L’Europe devrait
servir à autres chose qu’à servir de déguisement à une telle régression.
Je n’idéalise pas la constitution américaine, ni la
constitution de la république fédérale d’Allemagne. Je veux expliquer leur
logique pour que par comparaison, on comprenne que la constitution Giscard
n’est pas du tout ce qu’elle prétend être.
Je n’idéalise pas non plus la constitution française
qui resterait la référence si la constitution de Giscard était refusée au
référendum. Mais je prétend seulement qu’il y a aujourd’hui en France des
droits démocratiques qu’il faut sauver et que la constitution Giscard
supprimerait. Défendons les!
André Depouille
Le "camp du Non" n'est pas moins protéiforme que le texte qu'il combat:à constitution tentaculaire opposition touts azimuts. Au chapitre social, le texte entérine le glissement de la notion de services publics à celle de services d'intérêt général (SIG); qu'est ce qu'un service d'intérêt général? D'après les exemples américains ou les préconisations des organisations internationales, il s'agit d'une rétrogradation du service public universel vers le service palliatif et d'usage temporaire:les services d'intérêt général doivent permettre à ceux ne pouvant accéder aux services fournis par le secteur marchand y compris la santé, l'éducation, l'assurance maladie, le logement d'accéder à un service minimum. Dans une optique de réduction des dépenses publiques et parce que, dans la philosophie libérale, le besoin pour un individu de recourir à un service aidé ne peut être que temporaire à l'échelle d'une vie intrinsèquement vouée à l'enrichissement – le nombre de bénéficiaires d'aide étant ontologiquement appelé à décroître – le SIG est un service au rabais chroniquement victime de sous financement et sous investissement, ce qui est même le cas des infrastructures et grands équipements aux Etats-Unis par exemple. Le SIG de la constitution c'est le retour du tiers état.
Au chapitre politique, l'organisation institutionnelle de l'Union européenne consacre une confiscation de la démocratie insupportable aux citoyens d'un continent qui l'a vu y être pensée et naître:au mieux nous avons un étrange système tacite de démocratie transitive:le suffrage national des citoyens européens élisant leurs représentants ou leur président aboutissant par on ne sait quel obscur chemin à la désignation d'une Commission, d'un Monsieur PESC, d'un "ministre" de affaires étrangères, d'un "président" de l'Union, etc. doués d'un pouvoir exorbitant en regard de leur irresponsabilité absolue en face des citoyens sur les vies et le futur desquels ils ont plus d'influences que les exécutifs et les parlements nationaux; au pire une forme de gouvernement impérial est en train de se mettre en place – mais un "empire intérieur", un "tyran domestique" car au plan international ni les Etats-Unis, ni la Chine, ni la Russie et ni l'OMC, ni les Nations unies, ni l'OTAN n'ont rencontré la puissance européenne. Nous sommes, ici, à une croisée des chemins:soit toute instance décisionnelle supranationale est supprimée dans l'Union, le niveau hiérarchique maximal étant celui de chef de Direction générale et toutes les décisions et orientations sont prises par secteur au niveau intergouvernemental conjointement avec le parlement européen, soit un exécutif européen est élu au suffrage universel par l'ensemble des européens. Le découplage du pouvoir et de la responsabilité, la déconnexion du pouvoir politique et de la sanction du suffrage consacrés par la constitution sont inacceptables et portent les germes d'une conclusion austro-hongroise:le retour de la question des nationalités dans moins de cinquante ans et l'éclatement de l'Union. Les futurs Garibaldi, Bismarck, Paderewski, Kossuth, Alexandre Cuza, Benes, Jean de Bragance, Parnell et autres de Gaulle ou Jan Palac sont peut-être déjà nés.
Au chapitre de la défense et de la sécurité, la confiscation est encore mieux avérée: perpétuellement en devenir, la puissance européenne s'ampute, par le maintien de la plupart de ses membres dans l'OTAN, du bras armé inhérent à tout pouvoir réel, le pouvoir des armes:elle se dénie l'élaboration libre de ses choix stratégiques et de sa politique de défense, le libre usage de ses forces; elle s'interdit l'émergence d'une industrie européenne de défense. En refusant de se faire confiance pour sa propre sécurité, en délocalisant à Washington le centre de ses décisions de défense, l'Union européenne de la constitution choisit de s'arrêter au stade adolescent de la croissance d'une puissance.
Au chapitre de la source philosophique ayant inspiré la main des "conventionnels" – drôles de conventionnels, ceux de 1792 ou ceux de Philadelphie étaient élus, eux – ni la liberté, ni la fraternité, ni l'égalité, ni la paix, ni la quête du bonheur, mais la concurrence – noble origine et but exaltant pour nos enfants. C'est selon ce dogme, dont l'omniprésence a peut être à voir avec la forte empreinte génétique du plan Marshall dans l'ADN du Traité de Rome, que chaque décision, chaque choix, chaque mesure est, et sera constitutionnellement, imaginé, pris, jaugé. Et l'autre carence n'est pas moindre:nulle mention, nulle part, des notions de loyauté entre états membre, d'allégeance unique à un projet et un but communs (bien moins par exemple que dans le traité de l'Atlantique nord): division, impuissance, là encore.
Laissez le confort – les services publics et la justice sociale fondés sur la redistribution et la solidarité y compris intergénérationnelle – pour la puissance, ou l'inverse, passe encore, mais perdre l'un et laisser filer l'autre – évaporé à Bruxelles, non.
En votant non, les européens reprennent possession de leur(s) histoire(s), en votant oui comme le Baron Seillière et le comité de soutien germanopratin fomenté par Jack et Monique Lang, ils l'abandonnent au concile des puissants inconnus.
Jacques-Emmanuel Remy
Consultant international