1. Présentation
Les Vraies Lois de l'économie
par Jacques Généreux
Seuil, Vol. 1, novembre 2001- Vol. 2. octobre 2002,
Edition intégrale, Seuil, octobre 2005,
Edition en poche, Points-économie, Seuil, 2008
• PRIX LYCÉEN DU LIVRE D'ÉCONOMIE
• PRIX DU MEILLEUR LIVRE 2002
de l'Association des professeurs de Sciences-Po.
Pourtant, on a beau chercher, on ne trouve rien de tel dans les conclusions effectives de plusieurs siècles de recherches économiques. Ces dernières sont même souvent à l'opposé de ce que laissent entendre les lieux communs les plus répandus à propos des lois de l'économie. Qui sait que la théorie économique standard, loin d'opposer systématiquement des choix privés vertueux à des choix politiques pervers, démontre au contraire leur complémentarité et l’irremplaçable souveraineté des citoyens ? Qui sait que la théorie économique la plus orthodoxe a démontré que des marchés libres conduisaient au déséquilibre général, aux crises et au gaspillage des ressources ?
Alors Jacques Généreux a entrepris de rétablir "les vraies lois de l’économie". Il s’agit d'identifier le corpus de croyances économiques que le discours politique a peu à peu installées dans l'opinion et de les passer au crible de ce que dit vraiment l'analyse économique, de ce qu'elle ne dit pas, sans omettre qu’elle n'a parfois rien à dire. Il s'agit d'éviter de mettre au compte de la "science économique" des vieux théorèmes dépassés, des inepties ou des lieux communs néolibéraux qui sont d'ailleurs souvent une insulte à l'authentique pensée libérale.
Cela donne vingt lois rassurantes (Le marché ne fait pas le bonheur - Il n'est de richesse que d'hommes), ou inquiétantes (La mauvaise concurrence chasse la bonne - L'erreur est rationnelle), ou encore étonnantes (L’impôt n’est pas un prélèvement obligatoire - La loi du gâteau : plus on le partage, plus il y en a), mais toujours à mille lieues des poncifs de la pensée néolibérale prétendue dominante. Les lois de l’économie ne sont pas celles que vous croyez !
Le premier volume, couronné par deux prix, passe en revue les bases essentielles du discours économique. Le second volume s'intéresse surtout aux conditions d'évolution et de régulation de l'économie à long terme (croissance, développement, échange international, inégalités) et précise la critique des principales politiques néolibérales (flexibilité du travail, baisse des coûts salariaux, libre-échange international, réduction des déficits publics, etc.).
La rébellion contre la "mondialisation néolibérale" s’exprime au nom de la justice, de la morale (...). Il est plus rare qu’elle le fasse en dénonçant, à partir de l’analyse économique la plus orthodoxe, la fausseté des hypothèses sur lesquelles repose la spécieuse "pensée unique". C’est ce qui fait tout l’intérêt du livre de Jacques Généreux. Le Vif-L'Express
Jacques Généreux part en guerre contre le "néolibéralisme" et plus encore contre ses slogans simplificateurs. À la fois pédagogue et polémiste… Le Figaro
Avec talent, l’auteur défend le retour du volontarisme politique. Pédagogique et anti conformiste. La Croix
Puissent nos dirigeants lire Généreux et mettre le débat au centre de la vie politique. Le Nouvel Économiste
Une lecture qui apportera autant de distance à ceux qui se disent encore néolibéraux qu’aux partisans d’une approche critique de la mondialisation. Les Échos
Jacques Généreux milite contre les lieux communs les plus répandus à propos des "lois de l’économie" qui envahissent le débat public. Ouest-France
Salubre, salubre. Vas-y Jacquot, on les aura ! Charlie Hebdo
À quoi nous sert de connaître les lois de l’économie ? Il serait temps de se poser la question, n’est-ce pas ? Vous m’excuserez de vous avoir entraîné sur ce long parcours avant de l’avoir posée. Mais il faut toujours souffrir de gravir un sommet avant de savoir si le point de vue valait tant d’efforts. L’économie est comme une citadelle qui garde jalousement son éventuel trésor derrière de hautes murailles, murailles de concepts, de mécanismes, de théories, autant d’obstacles à surmonter avant de savoir quel trésor on est venu chercher.
Alors on comprend le dépit de certains étudiants qui, après des années de microéconomie, de macroéconomie, d’économétrie, en viennent à se dire que la montagne a accouché d’une souris, que le coffre est vide. En fait de trésor, ils se retrouvent parfois la tête farcie d’hypothèses surréalistes et de théorèmes fictifs qui ne leur permettent ni de comprendre le monde réel ni de converser utilement avec leurs camarades historiens ou sociologues. Nous espérons les avoir aidés à éviter cette désillusion en racontant l’histoire d’une autre économie — que nous tenons pour la "vraie" — qui nous parle bien de notre planète et non d’un univers imaginaire, et autant que faire se peut avec une langue accessible à tous.
Connaître les vraies lois de l’économie nous évite aussi de tomber dans le piège d’un anti-économisme à la mode qui oppose une raison humaniste, écologiste ou autre à la raison économique, et répand l’illusion que l’économie s’opposerait à la justice et à la démocratie. Nous avons montré que le vrai résultat de la pensée économique est exactement inverse : la justice et la démocratie y apparaissent comme les conditions d’une économie vraiment efficace et raisonnable. Qui plus est, la raison économique, en exigeant un contrôle efficace des décisions publiques appelle à une démocratie bien plus forte et plus réelle que les régimes oligarchiques que nous avons l’habitude de qualifier abusivement de "démocraties".
Mais certains n’hésitent pas à caricaturer des siècles de pensée économique, n’en retenant que les modèles les plus abscons et les plus contestés par une grande partie de la profession (à commencer par ceux qui vendent cette caricature), à seule fin de livrer à la foule un coupable fabriqué sur mesure pour maximiser leurs droits d’auteurs, à savoir : une économie mathématique, irréaliste, ultra-libérale, anti-politique et antisociale. Le fait que cette économie-là domine en effet les départements de macroéconomie des facultés anglo-saxonnes et de nombreux suiveurs à travers le monde, n’enlève rien à cette évidence qu’elle est le plus souvent contraire à ce qu’établit en réalité la science économique. La critiquer au nom d’une raison humaniste ou écologiste assez floue qui s’opposerait à la raison économique est une stratégie facile pour séduire un public rétif à l’effort intellectuel. Mais, j’espère vous avoir convaincu qu’il est intellectuellement plus satisfaisant et politiquement plus efficace de combattre un simulacre de raison économique par une raison économique plus solide.
On ne combat pas un théorème en expliquant qu’il est injuste et méchant ; on démontre qu’il est faux. S’attaquer à une certaine science économique, seulement au nom de la justice ou de l’environnement, nous expose à l’impact limité de tout discours opposant les bons sentiments aux dures réalités. Même si l’intellectuel a le droit de se placer du côté des bons sentiments, on attend de lui qu’il dénonce une réalité au nom d’une autre réalité possible et qu’il conteste une démonstration qui se prétend scientifique au nom d’une démonstration mieux établie. C’était là le sens de notre démarche. Nous n’avons pas disqualifié les lois qui fondent le discours néolibéral en déplorant qu’elles soient trop moches ! Nous avons montré qu’il s’agissait d’une supercherie intellectuelle souvent démentie par les propres auteurs dont elle se réclame, et presque toujours infirmée à la fois par la réalité et par les développements de la théorie économique. Ainsi, par exemple, nous n’avons nul besoin d’invoquer la justice, l’écologie ou la charité pour contester l'idée que la flexibilité des prix garantit un fonctionnement optimal des marchés : c'est tout simplement l’histoire et la théorie économique qui démontrent son inexactitude et sa nocivité.
Cela dit, peut-on se contenter du plaisir intellectuel de connaître les "vraies" lois. Comprendre le monde réel : la belle affaire si ce monde reste aussi moche et inquiétant que si nous n’y entendions rien ! C’est un découragement de cette nature qui a personnellement décidé de l’orientation de mes travaux. Après une thèse de doctorat et des années de recherches sur le marché du travail et le chômage, j’ai réalisé que le sous-emploi et la misère s’installaient dans le monde, non pas faute de connaissances sur leurs causes et leurs remèdes, mais faute de la moindre volonté politique de les combattre vraiment.
Alors, à quoi bon passer une vie de recherches à construire des modèles qui n’intéresseraient que mes collègues et ne changeraient rien à rien ? Pour briguer le prix en l’honneur d’Alfred Nobel, il eût sans doute fallu persévérer en oubliant cette question dérangeante. Mais mon ambition était plus haute. Comme des milliers d’autres collègues dans le monde, la seule raison pour laquelle j’ai décidé un jour de poursuivre l’étude de l’économie est que j’espérais ainsi apporter une pierre à la construction d’un monde plus humain. J’ai donc réorienté mon travail vers la question qui me semblait désormais la plus pertinente : si la misère du monde ne vient pas de notre ignorance mais de nos choix politiques, comment se peut-il qu’elle soit tolérée dans des sociétés réputées démocratiques ? J’en suis arrivé à la conclusion apparemment paradoxale qui a fait le titre de mon précédent ouvrage. Nous avons Une raison d’espérer : l’horreur n’est pas économique, elle est politique (Fiche du livre disponible sur ce site). En effet si, comme je pense l’avoir montré, l’horreur sociale ne s’installe qu’en raison de choix politiques délibérés et de dysfonctionnements majeurs des institutions, alors nous avons encore une raison d’espérer dans l’action collective et dans le politique. À l’opposé de cette démarche, le discours qui décrit une histoire prédéterminée par la technologie ou des lois naturelles de l’économie vise clairement à nous désespérer de la politique pour désarmer toute résistance citoyenne.
Nos vingt lois de l’économie ont toutes conforté ce rejet d’un déterminisme mécaniste qui relèguerait l’acteur humain au rang de spectateur passif de son histoire. Toutes, elles ont confirmé ce qu’affirmait la première d’entre elles : les lois de l’économie sont les lois des hommes. Quel que soit le problème abordé, en effet, il s’avère que l’analyse économique conclut toujours à la nécessité et au rôle déterminant des choix politiques.
Attention toutefois au malentendu pernicieux que cette conclusion risque d’entretenir. On croit volontiers de nos jours que l’enjeu de la résistance à une économie inhumaine et au néolibéralisme est de restaurer le primat du politique sur l’économie. En réalité, le primat du politique n’a nul besoin d’être une exigence puisque c’est un fait. Jamais l’économie n’a été indépendante des institutions et des choix politiques. Le néolibéralisme que dénoncent les mouvements "altermondialistes" n’est pas la mort du politique face à l’économie triomphante, mais le triomphe d’une politique favorable aux détenteurs du capital. La dérégulation des marchés financiers n’est pas un décret des martiens, c’est le choix de gouvernements situés et datés, ancrés dans des lieux et une histoire où le bouleversement des rapports de force a façonné de nouvelles politiques dominantes.
Évitons donc un contresens redoutable. Les vraies lois de l’économie ne montrent pas vraiment qu’il faut "restaurer le politique" parce qu’elles donnent à penser qu’en réalité", "le politique gouverne". Il gouverne, y compris quand il prétend officiellement se soumettre aux lois de l’économie pour désarmer les résistants qui pourraient contester son pouvoir, mais pas le rouleau compresseur d’une histoire dictée par la nature ou par les dieux. Si donc l’économie nous semble parfois inhumaine, il importe de comprendre que cela ne résulte en rien d’une soumission du politique aux lois de l’économie, mais bien au contraire de la soumission de l’économie a des lois politiques conformes à des intérêts particuliers. L’enjeu d’un combat pour un développement humain n’est donc pas d’instaurer le primat du politique sur l’économie, mais le primat des citoyens sur la politique, afin que cette dernière reflète les idéaux forgés par la délibération démocratique.
Soit ! Mais, pardon d’y revenir, à quoi nous sert de connaître les vraies lois de l’économie si, au fond, ce qui change l’économie réelle est moins la connaissance que nous en avons que les rapports de forces susceptibles d’infléchir l’orientation des politiques ? Notre savoir n’est-il pas vain si nous ne le relayons pas par un engagement quelconque dans le débat et l’action politiques ? Qu’il soit partisan, associatif ou syndical, il est vrai qu’un tel engagement peut sembler une exigence personnelle de cohérence pour quiconque est convaincu par l’ensemble des résultats que nous avons exposés. Mais, il est non moins vrai qu’une forme essentielle de cet engagement peut aussi consister à combattre les croyances erronées et à promouvoir la confiance dans la possibilité d’une autre économie…
Courage, nous voici désormais très proches de répondre enfin à notre question initiale. L’apport fondamental de ce que nous pensons être les vraies lois de l’économie est de nous montrer que la plupart des problèmes nous placent dans une sorte de dilemme du prisonnier. Il n’existe pas une mais des solutions, ce que dans notre jargon nous appelons des équilibres multiples. Certaines solutions sont le résultat d’une interaction non maîtrisée entre les acteurs contraints de se comporter en rivaux, en compétiteurs solitaires, parce qu’ils n’ont pas la capacité de se parler, de s’entendre de se faire mutuellement confiance. D’autres solutions résultent d’une coopération solidaire entre des individus (ou des groupes, ou des nations) qui se perçoivent comme membre d’une communauté humaine capable d’atteindre un mieux être collectif.
Relisez chacune de nos vraies lois avec ce schéma d’analyse en tête. Vous constaterez que l’analyse met presque toujours en évidence à quel point le chemin de la coopération solidaire est plus efficace que celui de la compétition solitaire. Pourquoi dès lors choisit-on si souvent la guerre plutôt que la paix, la compétition plutôt que la coopération, la sortie par le bas qui nous appauvrit plutôt que la sortie par le haut qui nous enrichit ? Dans la plupart des cas, ce n’est même pas que nous ignorions l’existence d’un mieux être accessible par une action collective ; c’est tout simplement que nous n’y croyons pas. L’immense majorité des Palestiniens et des Israéliens savent qu’une paix garantissant la coexistence de deux États indépendants serait mille fois préférable à la guerre, mais ils sont trop nombreux à ne plus y croire et, faute d’une intervention politique extérieure qui rende à nouveau l’idée de paix plausible, ils restent piégés depuis plus d’un demi siècle. L’immense majorité des Européens savent qu’une société pacifiée par la solidarité et la justice sociale est plus vivable et plus efficace qu’une société sécurisée par la répression. Mais quand ils ne croient plus dans la capacité du politique à entreprendre la marche vers une société juste, ils demandent plus de policiers et de punition pour les protéger des voyous. Le mieux existe "en théorie" se dit-on, mais il ne serait atteignable que si tout le monde y croyait et était disposé à se comporter en conséquence.
C’est l’incapacité à forger une croyance commune, une confiance réciproque qui barre les meilleures routes. Ainsi, une condition nécessaire à un monde nouveau, c’est que nous y croyons. Ça nous le savions déjà. Mais en outre et surtout l’économie nous enseigne qu’il s’agit là souvent d’une condition suffisante ! Il suffirait d’y croire ! Cela aurait d’ailleurs pu être une 21e vraie loi de l’économie, tant les exemples abondent où l’état de l’économie, les performances d’un marché, les résultats d’une politique économique dépendent avant tout des croyances et de la confiance des acteurs. Je ne sais plus qui a dit : "Nous ne savions pas que c’était impossible, c’est pour cela que nous l’avons fait." C’est bien cet état d’esprit que favorise une science économique qui démontre le poids de la volonté politique et de la cohésion sociale dans le succès ou l’échec d’une stratégie de développement. Voilà donc enfin une bonne raison de comprendre et de faire comprendre les vraies lois de l’économie. Leur connaissance installe la croyance dans la diversité des possibles et dans notre capacité à atteindre un monde meilleur en se constituant en communautés humaines liées, solidaires, confiantes ; elle fait reculer le fatalisme et la défiance en démontrant les vertus du volontarisme et de la confiance ; en un mot, elles nous aident à y croire. Mais pour qu’elles enclenchent le cercle vertueux de la confiance, il faut les faire descendre des chaires universitaires, les diffuser dans les associations, les syndicats, les écoles, les partis, les cafés, les journaux, bref, en faire des évidences de notre culture commune. Et voilà bien un engagement à la portée de tous.
Si nous avions seulement convaincu chaque lecteur de convaincre à son tour une personne que les lois de l’économie, les vraies, loin de nous aliéner, nous enseignent le pouvoir de nos volontés communes, nous serions sûr de ne pas y avoir en vain consacré deux ans de travail. Prenons exemple sur Sliman, imam au Sénégal. Voici quelques années ce pays a adopté une loi interdisant l’excision des petites filles. Loi en vérité délicate à faire respecter, car la pratique séculaire de l’excision s’est trouvée intégrée dans la culture de certaines populations musulmanes, au point que les croyants en sont venus à la considérer comme une exigence de l’Islam. Bien sûr, rien dans les "vraies lois" de l’Islam ne fonde une telle croyance, mais elle n’en est pas moins ancrée. Alors, depuis des années, Sliman va à pied de village en village, inlassablement, pour expliquer ce que sont les vraies lois de l’Islam, et convaincre que l’on peut être un bon musulman et appliquer la loi contre l’excision. Et quand on lui demande pourquoi il fait cela, il répond simplement : "C’est bien de faire une bonne loi, mais ça ne suffit pas ; la loi ne vient pas dans ta maison pour parler avec toi."
Voilà : nous savons ce qu’il nous reste à faire. Ce n’est pas rien. Mais c’est tout !
Paris , août 2002.
Tous droits réservés, Seuil 2002.
Enseignant en SES (Sciences économiques et sociales), j'oblige systématiquement mes élèves à se procurer l'ouvrage (en deux tomes) et à faire une synthèse de 2 pages minimum de chacune des lois.
Le contenu est absolument remarquable et devrait à mon avis constituer l'armature d'un vrai programme de Sciences économiques et sociales.
Les élèves, à l'Université ou en écoles supérieures, profitent encore d'une connaissance solide et mesurée et à l'unanimité (ils me le font savoir), ne regrettent pas l'investissement.
Un ouvrage nécessaire pour ne pas être victime d'une désinformation économique et sociale malheureusement croissante.
Très cordialement et encore bravo !
Laurent Bruneau (SES, Lycée louis Barthou, Pau)