par Jacques Généreux
299 pages – 19 € - Éditions du Seuil- octobre 2003
Contact presse : Séverine Roscot. Tél. : 0140 46 51 77 - Email : sroscot@seuil.com
Jacques Généreux, économiste et politologue, professeur à Sciences Po., membre du Conseil national du Parti socialiste est l’un des animateurs du courant "Nouveau monde" initié par Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon et l’un des rédacteurs de la contribution de ce courant au congrès de Dijon (mai 2003).
Éditeur au Seuil et chroniqueur du mensuel Alternatives économiques, il a également créé l’émission économique hebdomadaire de France Culture, L’Économie en questions, dont il a co-produit les 260 premières émissions de février 1998 à juillet 2002. Depuis l'automne 2003, il participe régulièrement à l'émission Le Rendez-vous des politiques, animée par Ali Badou sur France Culture.
Auteur de nombreux ouvrages, livres d’économie best-sellers (Hachette et Seuil) et essais politiques (Plon et Seuil), il consacre désormais l’essentiel de son travail à la crise du politique, à la refondation de la démocratie et du socialisme.
Au fil des ans, Jacques Généreux s’est attaché un public avide d’une pensée alternative au néolibéralisme ambiant. Il a constitué ces "Chroniques d’un autre monde" pour répondre à la demande des lecteurs qui regrettent que ses nombreux articles restent peu accessibles. Logiquement articulé autour de trois axes : la crise de la gauche, la défense de l’État et d’une autre politique économique, la recherche d’une alternative à la mondialisation libérale, ce recueil constitue un outil de réflexion et de débat pour tous ceux qui sont en quête d’un autre monde.
Le mouvement associatif altermondialiste l’a également identifié comme l’un des porte-parole d’une autre façon de penser l’économie et la politique, à la suite notamment de son "Manifeste pour l’économie humaine" (2001) soutenu par plus de 200 économistes dans 31 pays. Ses interventions sont ainsi régulièrement sollicitées par ATAC, les amis du Monde diplomatique, les Forums sociaux locaux, etc. Si Jacques Généreux partage pour l’essentiel les finalités de ce mouvement altermondialiste, il lui reproche néanmoins amicalement de négliger l’action politique traditionnelle et la réflexion sur les institutions politiques. Il est en effet convaincu que les contestations les plus légitimes et les projets les plus inspirés de ce mouvement seront vains si ce nouveau militantisme ne se réinvestit pas dans les partis pour soutenir devant les électeurs de nouveaux programmes de gouvernement et de nouvelles règles du jeu politique. C’est pourquoi, bien que ces livres aient développé l’une des critiques les plus vives de notre vie politique, il s’attache à faire progresser une pensée alternative à l’intérieur du parti socialiste.
Sa devise : "La politique est atroce parce que tous ceux qui la trouvent atroce n’en font plus."
Ouverture
Monsieur le Premier ministre, redites-nous que la politique peut tout
Viols d’enfants : tous coupables !
Poutine, Haider : où est l’horreur ?
La souffrance des peuples ne paye pas
Crise du politique, crise de la gauche
Les démocraties face à la terreur
La guerre incivile
2. Refonder la gauche : les vraies leçons du 21 avril 2002
Camarades, sachons reconnaître notre victoire !
Refonder la gauche pour faire reculer le populisme
La sécurité, valeur centrale d’une gauche refondée
À gauche, l’archaïsme est chez les présumés "modernes"
Discours d’Argelès
Un an après : quelles leçons du 21 avril 2002 ?
3. L’horreur politique et la réforme des institutions
L’horreur n’est pas économique, elle est politique
Les défaillances du marché politique
Le quinquennat : trop court, trop long, trop peu, trop vite !
La farce quinquennale
L’État et la politique économique
Contre le complexe fiscal de la gauche
Le mythe de la cagnotte fiscale
Faut-il baisser les impôts ?
Baisses d’impôts : les mauvaises chassent les bonnes
Impôts : objectif urnes
Faut-il développer l’attractivité fiscale du territoire ?
5. Pour les services publics
La gauche face aux conflits sociaux dans les services publics : où est l’erreur ?
Faut-il encore privatiser les services publics ?
L’autre réforme de la justice
6. Faire de l’Europe un atout et non une contrainte
Bonne nouvelle, l’euro est faible !
Faut-il brûler le pacte de stabilité ?
Alerte à Maastricht, comédie en quatre actes
7. La politique de la droite
À qui profite un budget de droite ?
Le gouvernement lutte-il vraiment contre le chômage ?
Réforme de l’État ou démantèlement ?
L’alternative au capitalisme et à la mondialisation libérale
De l’autre mondialisation à l’autre politique OMC : où sont les urgences ?
Crise argentine : la faute au FMI ?
Les pays pauvres sont-ils seuls responsables de leur pauvreté ?
Le développement durable est-il soutenable ?
Principes politiques d’un nouvel ordre financier mondial
9. La nouvelle alternative au capitalisme
Une révolution culturelle contre la logique marchande
Quelle alternative au capitalisme après la victoire de l’alter-mondialisme ?
10. L’autre gouvernance d’entreprise
Des plans sociaux à la démocratie sociale
L’après Enron : gouvernance ou démocratie ?
Malaise dans la civilisation marchande
Malaise dans la science économique
Une autre vision fédératrice : "l’économie humaine"
Pistes pour une charte de l’économie humaine
Conclusions d’étape
J’ai d’abord songé à constituer ce recueil pour répondre à la demande des lecteurs ou auditeurs qui me font l’honneur d’apprécier mes livres. J’avais jusqu’ici hésité à le faire, mais une anecdote m’a décidé, en même temps qu’elle m’a révélé le besoin ou le questionnement auquel un tel livre pourrait tenter de répondre. À l’issue d’un débat télévisé, l’un des invités, chef d’entreprise, m’a interpellé : "Comment peut-on être économiste et de gauche ?... Je ne vois pas bien." La question était posée sans la moindre animosité et avec une sincérité aussi désarmante que si l’on m’avait demandé : "Comment peut-on aimer les tomates ?"
Au premier abord, cette question pourrait me paraître saugrenue, puisque c’est précisément mon travail d’économiste qui m’a convaincu des impasses et des catastrophes où nous conduisent les "solutions" de la droite libérale et m’a toujours conforté dans mon adhésion au socialisme démocratique. Mais je n’ai pour ma part jamais été ni dérouté ni étonné de rencontrer des gens dont les choix étaient opposés aux miens. Je ne me suis par exemple jamais demandé "comment peut-on être économiste et de droite ?". Je sais bien comment et pourquoi. Aussi, ce qui me stupéfie dans la perplexité de cet entrepreneur n’est point qu’il ne partage pas mes idées, mais le fait qu’elles lui semblent plus qu’impossibles, tout simplement impensables. La difficulté la plus redoutable, pour quiconque croit aux vertus du débat, est d’être confronté à un interlocuteur qui ne conçoit même pas l’existence d’un débat, et dans le regard de qui on lit une incapacité radicale à penser l’alternative, l’autre chemin, l’autre hypothèse, l’autre histoire, comme si quelques synapses obstruées coupaient le courant de la pensée.
Au fond, c’est d’abord et toujours contre cette maladie de la pensée, de l’"impensé", contre cette conviction préalable d’impuissance à changer le monde que j’écris. Qu’il s’agisse de la démocratie, du capitalisme, de la pédophilie, du terrorisme, de la mondialisation, de la politique économique, je ne crois pas que les choses sont ce qu’elles sont, mais ce que l’on en fait. Penser la politique et l’économie à gauche, c’est avant tout considérer qu’il y a toujours une alternative, que les lois du monde sont écrites par les femmes et les hommes, que les prétendues lois naturelles sont l’anesthésiant manipulé par les nantis pour disqualifier les contestations, décourager les résistances, désespérer les révoltes, étouffer la libre-pensée et soumettre le monde à la seule loi de leurs intérêts.
Alors, à mon interlocuteur éberlué, pour qui le bon sens économique est forcément à droite et libéral, je serais tenté de répondre "lisez mes livres si vous voulez comprendre le mystère". Mais, outre que c’est assez prétentieux, c’est sans doute beaucoup demander. Un livre à la rigueur, ce serait un bon début ! Un livre qui montrerait comment un économiste et politiste de gauche raisonne et s’engage sur une grande variété de sujets politiques, économiques, sociaux, comment il réagit aux événements et participe aux débats contemporains. Voici donc ce livre, construit sur une sélection d’une cinquantaine d’articles.
J’avais a priori quelques réserves sur cette méthode, estimant que l’unité de sujet et la progression d’une thèse centrale sont les meilleures garantes de la pertinence et de l’intérêt d’un livre. Mais en constituant celui-ci, je découvre que la grande variété apparente des sujets, et la possibilité d’enchaîner des lectures courtes dans l’ordre qui convient au lecteur, font peut-être mieux ressortir l’unité de pensée et répondent plus complètement à la question : "C’est quoi un économiste de gauche ?"
Je ne ferai pas au lecteur l’affront de me lancer ici dans une longue explication de texte soulignant cette unité. Il reconnaîtra aisément dans le plan et le contenu de ces "chroniques" l’application aux débats actuels : 1°) d’une autre façon de penser la vie politique et la démocratie amorcée dans Une Raison d’espérer ; 2°) d’un autre regard sur l’économie dont les bases théoriques sont développées dans Les Vraies Lois de l’économie ; 3°) d’une autre conception de l’alternative à la "marchéisation" du monde dont j’ai ébauché les fondements philosophiques et politiques dans Quel renouveau socialiste ?
Mais je dois au lecteur une explication pour l’"Ouverture" disparate et impressionniste qui tranche avec la structuration rigoureuse de la suite. Les quatre textes qui ouvrent ce volume ont en commun d’être des cris de révolte contre la résignation face à l’horreur politique, contre la domination des petits par les grands, des petits salariés par les grands patrons, des petits-enfants par les grandes personnes, des petits peuples par les grands pays. Une telle ouverture s’est imposée d’emblée car elle illustre le préalable incontournable pour comprendre ce qui ancre une pensée vraiment à gauche : celle-ci naît d’une révolte contre l’injustice, et de l’indignation face à l’aisance avec laquelle on s’accommode des inégalités. Pourquoi un fils d'ouvrier a-t-il moins droit aux vacances en bord de mer qu'un fils de PDG ? On peut le constater, l'expliquer, voire le comprendre, mais on ne pourra jamais le justifier. Eh bien, un économiste de gauche considère qu'un système qui autorise la persistance de cette inégalité est inefficace parce qu'il ne tend pas vers la seule finalité politique légitime d'une société humaine : la justice.
Oh bien sûr, la pensée doit se garder d’être submergée par la révolte et l’indignation qui risquent d’aveugler l’esprit et de remplacer l’analyse par l’incantation. Reste que la révolte contre l’inégalité est à la fois l’énergie qui soutient et la raison qui justifie l’analyse d’un homme ou d’une femme de gauche. Et la révolte est aussi le résultat d’une analyse rigoureuse. En effet, la droite n’est pas révoltée par l’inégalité du monde parce qu’elle la dit naturelle. On ne s’insurge pas contre la nature. C’est bien pourquoi tout le discours de l’idéologie néolibérale tend à faire passer l’état du monde, avec son lot de misère, d’oppression et d’inégalités, comme l’effet d’inéluctables lois naturelles contre lesquelles seuls les poètes et les fous peuvent se rebeller, le temps de fulgurances esthétiques qui n’arrêtent pas plus le rouleau compresseur de l’histoire que l’écume ne détourne les vagues. Cette naturalisation du monde agit aujourd’hui comme une théologie laïque qui s’est substituée aux dieux antiques pour nous conduire à la servitude volontaire.
Penser le monde à gauche conduit à dénoncer l’illusion aliénante qu’un autre monde est impensable, à révéler la nature politique des inégalités, c’est-à-dire à identifier les rapports de forces qui les rendent possibles. L’inégalité fabriquée par les hommes devient alors révoltante parce qu’elle n’est pas fatale. Parce qu’elle est le signe d’une incivilisation extrême : la propension des uns à exploiter leur avantage pour dominer les autres. Être de gauche est ainsi avoir l’intuition que l’essence de l’humain est dans l’égalité et la fraternité, tandis que la domination, l’indifférence, l’arrogance, l’insouciance, voire la compassion condescendante du fort, du grand, du puissant, du riche, sont les marques hideuses d’une inhumanité.
Voilà pourquoi, contrairement à une grande illusion moderne, le progrès technique et l’abondance matérielle ne suffisent pas à civiliser la planète. Dans un monde inégal, même la surabondance alimentaire ne vient pas à bout de la malnutrition. Et, depuis les années 1980, la victoire généralisée de la droite libérale engendre un monde de plus en plus violent, au fur et à mesure que régresse la culture de l’égalité et de la solidarité au bénéfice du culte de la compétition et de la performance individuelle. L’espérance laïque d’un autre monde, autrefois portée par la gauche, cède la place à la résignation cynique à la guerre économique ou à l’évasion métaphysique dans la guerre sainte. Paradoxalement, alors même que seule une politique délibérée engendre cette régression sauvage, une majorité d’hommes et de femmes ne croient plus que la politique peut changer le monde. Il s’ensuit une crise sans précédent du politique et de la démocratie, qui est pour l’essentiel une crise de la gauche, puisque seule la gauche avait la prétention de changer le cours de l’histoire. C’est à cette crise qu’est consacrée notre première partie.
Pour en sortir, il faudra combler l’immense déficit de gouvernement du monde engendré par deux décennies de néolibéralisme triomphant. Et restaurer le gouvernement du monde suppose d’éradiquer d’abord la culture antiétatique, anti-impôt, anti-dépense publique qui s’est répandue massivement au point de contaminer la gauche. Notre deuxième partie illustre cette nécessaire bataille culturelle pour réhabiliter l’impôt, le bien public, et la politique économique, dans le cadre d’une Union européenne qui renforcerait notre capacité à gouverner l’économie au lieu de l’annihiler.
Mais il ne s’agit pas seulement de promouvoir le retour vers une plus grande régulation politique. L’histoire nous enseigne l’aptitude d’une société capitaliste à s’adapter à temps aux horreurs qu’elle engendre pour éviter son effondrement. Le fordisme, le keynésianisme et l’État Providence furent naguère la réponse aux affrontements sociaux engendrés par un capitalisme débridé. Mais le succès même de ces adaptations porte en lui le germe de leur épuisement, et, dans une large mesure, on peut dire que la pacification relative et la régulation du capitalisme durant les Trente Glorieuses ont préparé le retour d’un nouveau capitalisme sauvage plus menaçant qu’au siècle dernier, car plus destructeur de l’environnement, plus répandu sur la planète et, enfin, plus colonisateur des biens et des services publics jusqu’alors préservés de la marchandisation.
Peut-on dès lors se contenter et se réjouir d’une prochaine et probable mutation du capitalisme qui, face à la généralisation de la critique, s’amendera pour redevenir socialement acceptable et politiquement soutenable ? Cette nouvelle mutation du capitalisme pourrait n’être qu’une pause transitoire, préparant une nouvelle explosion de la logique de marchéisation du monde, une pause favorisant l’extension planétaire d’une culture consumériste et individualiste, nous préparant des générations à venir anesthésiées au Coca et aux jeux télévisés, parachevant la construction d’une démocratie sans citoyens et dès lors incapable de résister à une prochaine guerre économique toujours plus générale. C’est pourquoi, la simple réhabilitation d’une politique économique et sociale volontariste n’épuise pas la réflexion sur l’alternative politique. On ne peut éviter de s’interroger sur l’alternative systémique, de penser la sortie du cadre, le changement de logique. C’est donc à la quête d’une autre mondialisation et d’une alternative au capitalisme contemporain que nous consacrons la dernière partie de cet ouvrage.
Si j’étais le seul économiste à défendre ces autres façons de penser la politique et l’économie, cela ne me dissuaderait pas de poursuivre le combat. Mais aujourd’hui, vous pouvez toujours chercher, vous ne trouverez pas un manifeste d’économistes rassemblant plus de cent signatures qui n’appelle pas pour le moins à une régulation politique et démocratique plus forte. C’est pour illustrer cet autre discours des économistes que je republie, à la suite de ces Chroniques, mon Manifeste pour l’économie humaine, traduit en cinq langues et qui a déjà reçu le soutien de plus de deux cents économistes de trente et un pays.
Peut-être qu’un jour prochain, la question à la mode sera : "Comment peut-on être économiste et de droite ?"
Mr Généreux met en forme dans ces écrits argumentés le sentiment confus de tous ceux qui veulent se battre au quotidien contre l'émergence d'une société d'égoïsmes individuels patiemment élaborée et mise en oeuvre par l'intermédiaire d'hommes politiques élus "démocratiquement". Ceux-ci ne font qu'appliquer les désidératas de ceux qui détiennent le capital accumulé, qui les ont mis en place et les ont portés au-devant des électeurs abusés intentionnellement par des discours à l'opposé de leurs actes ultérieurs. Il est nécessaire de revoir les bases de la macro-économie des échanges mondialisés car elles empêchent le changement dans la conduite locale de l'économie et dont la fin devrait être un progrès social généralisé de nos sociétés humaines. En cela notre histoire actuelle, si les visées néo- capitalistes vont à leur terme, ne semble mener le monde qu'au chaos qu'il soit social ou environnemental les dégâts ayant atteint à ce moment le point de non retour.