BRUXELLES mardi 22 mars (AFP).
Les dirigeants de l'Union
européenne ont annoncé qu'ils s'étaient mis d'accord mardi soir à Bruxelles
pour une révision profonde de la directive Bolkestein sur la libéralisation des
services, qui suscite une vive controverse notamment en France.
"Nous nous sommes mis d'accord sur la nécessité d'une révision très large
de la directive sur les services", a déclaré Goeran Persson, le Premier
ministre social-démocrate suédois, après le dîner de travail du sommet européen
prévu pendant deux jours.
Le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, dont le pays assure la
présidence tournante de l'UE, a précisé lors d'une conférence de presse que
"la directive ne sera pas retirée", cette initiative revenant
le cas échéant à
"Mais des modifications seront apportées (au projet) qui prennent en compte notre soucis de maintenir le modèle social européen", a-t-il ajouté, soulignant que "la rédaction actuelle ne répond pas pleinement aux exigences".
Les dirigeants européens sont "tombés d'accord pour dire que le marché intérieur des services doit devenir pleinement opérationnel tout en préservant le modèle social européen", a souligné de son côté le Premier ministre belge Guy Verhofstadt".
"A la lumière du débat en cours, qui montre que la rédaction du projet
actuel ne répond pas pleinement à ces conditions, le Conseil européen demande
que tous les efforts soient déployés pour arriver à un consensus qui réponde
aux objectifs de préservation du modèle social européen", a-t-il ajouté.
La directive
Bolkestein, du nom de l'ancien commissaire au Marché intérieur Frits Bolkestein
(Pays-Bas), prévoit qu'un prestataire de services opérant dans plusieurs Etats
membres de l'UE soit assujetti, sous certaines conditions, à la seule loi de
son pays d'origine.
Ce principe alimente dans plusieurs pays les craintes d'un nivellement par le
bas du "modèle social européen". En France, la polémique a enflammé
la pré-campagne pour le référendum du 29 mai sur la ratification de
Lors du dîner de travail du sommet, le président français Jacques Chirac a
réclamé du reste de nouveau mardi une remise à plat "complète" de la
directive Bolkestein, jugeant celle-ci "inacceptable pour
"Ce texte est inacceptable pour
Le président de
pour Démocratie&Socialisme, le 24 Mars 05
Le recul de la Commission sur la directive Bolkestein est un simple recul temporaire, tactique, pour essayer de faire gagner le « oui » au référendum français du 29 mai.
La Commission aura ensuite tout le temps de faire adopter l’entièreté de cette directive.
Le précédent de la directive portuaire doit nous servir de leçon : elle indique clairement ce qui nous attend en cas de victoire du « oui ».
« La directive sur les ports reste à quai » avait pu titrer Libération après le désaveu, en novembre 2003, de la Commissaire européenne aux transports, Loyola de Palacio, par le Parlement européen.
Le Parlement européen avait, en effet, refusé d’adopter son projet de libéralisation des services portuaires. Ce projet avait pourtant déjà été adopté par le Conseil des ministres. Il prévoyait d‘ouvrir à la concurrence les services portuaires (manutention, pilotage, remorquage, amarrage…). C’était dans le domaine portuaire, l’application avant la lettre de la « directive Bolkestein » puisque cette directive permettait d’organiser la concurrence entre les salariés de l’Union Européenne en utilisant une main d’¦uvre sous qualifiée à bord des navires ou embauchée par des agences d’intérim à quai.
Le rejet de cette directive par le Parlement européen ne devait rien au hasard mais tout à la lutte des dockers et des agents portuaires dans toute l’Europe.
Selon Libération du 10 mars 2003, à Marseille la grève avait été suivie par les 1 200 dockers et 80 % des agents portuaires. Au Havre, 90 % des 1 500 agents du port autonome et les 1 700 dockers avaient arrêté le travail. Les ports de La Rochelle et de Bordeaux étaient également bloqués.
En Allemagne, la grève touchait les ports de Hambourg (1 100 dockers), Brême, Bremerhaven, Emdem et Nordenham.
La grève entraînait la fermeture des ports finlandais pendant 48 heures.
En Belgique, les ports de Zeebrugge, d’Ostende, de Gand et d’Anvers étaient également touchés par la grève alors que 2 000 dockers manifestaient à Bruxelles.
Cette « eurogrève » avait été organisée par l’International docks workers auquel adhère, en France la CGT et l’European transport federation (à laquelle adhèrent la CFDT et FO).
Lundi 10 mars, plus de 3 000 dockers venus de ports français, belges, espagnols et hollandais avaient manifesté à Strasbourg alors que le Parlement européen débattait de cette directive. Les dockers s’étaient, à plusieurs reprises, opposés aux forces de police.
Le 20 novembre 2003, le Parlement avait fini par renoncer à adopter cette directive, désavouant à la fois la Commission et le Conseil des ministres.
Mais avant la fin de son mandat, la même Commissaire aux transports, Layola de Palacio, proposait l’adoption d’une nouvelle directive « portuaire » qui n’était que la reprise, à peine modifiée, de l’ancienne.
Le nouveau Parlement européen est beaucoup plus à droite que le précédent : Layola de Palacio compte sur lui pour obtenir sa revanche.
Cette directive est toujours à l’ordre du jour de la nouvelle Commission en place depuis quelques mois. L’actuel commissaire aux Affaires Maritimes est, d’ailleurs, le représentant de Malte, pays tristement connu pour son pavillon de complaisance. La directive « portuaire » sera donc de nouveau soumise au vote du Parlement européen.
Ce qui arrive à la directive portuaire indique très clairement ce qu’il adviendra de la directive « Bolkestein ».
D’autant que cette directive n’a, contrairement à la directive « portuaire », fait l’objet d’aucun rejet du Parlement européen. Elle n’a fait l’objet que de quelques bonnes paroles … accompagnées d’une déclaration officielle qui ne retire rien, et d’une mise au point de Jean-Claude Juncker, président en exercice qui déclare « la directive ne sera pas retirée » (AFP).
Si le « oui » l’emporte, le 29 mai prochain, la Commission attendra - peut-être - quelques mois puis reprendra à son compte la totalité de la directive. De toute façon, ce sera la Présidence britannique dés le 1er juillet, 2005 et Tony Blair y est favorable ! Non seulement le projet de Constitution ne s’y oppose pas, mais il contient les articles clefs contre « toute entrave à la liberté d’établissement » qui fondent juridiquement Bolkestein.
Voter « non » au référendum est donc le seul levier qui existe pour empêcher le Conseil et le Parlement européen d’adopter la directive « Bolkestein ».
Ce vote créerait, en effet, le rapport de force permettant de renégocier une Constitution qui rende anti-constitutionnelle tout directive « Bolkestein » ou assimilée.
Cela signifie que la Constitution européenne modifiée devrait inclure :
La reconnaissance explicite et précis de vrais services publics et de leur droit à l’existence, indépendamment de la « concurrence libre et non faussée ».
La reconnaissance du droit de chaque Etat à protéger son environnement, la sécurité de ses salariés et de sa population, sans que ce droit soit considéré comme une discrimination à l’égard des autres Etats de l’Union européenne.
La reconnaissance du droit pour chaque Etat d’imposer, en toutes circonstances sur son territoire, l’application de son droit du travail et de ses conventions collectives, sous le contrôle de son Inspection du Travail.
La levée de l’interdiction de l’harmonisation des législations sociales et fiscales, expressément prévues par l’actuel projet de Constitution.
Sans ces modifications de la Constitution, nous n’aurions aucune garantie de ne pas voir resurgir, à un moment ou un autre, la directive « Bolkestein » ou son double.
S’ils se refusaient à apporter ces modifications, les dirigeants européens prendraient alors délibérément le risque d’un nouveau « non » à un nouveau référendum français.
Jean-Jacques Chavigné et Gérard Filoche - Démocratie&Socialisme