Pour ceux qui ne croient pas que le "oui" est d'abord un oui au libéralisme, voici une tribune édifiante de Guy Sorman. Elle a le grand mérite d'exposer honnetement la seule bonne raison de dire "oui"... dire "oui" à l'expansion continue du libéralisme quand on est convaincu que toute opposition à ce mouvement n'est qu'un archaïsme dommageable. Merci à William d'avoir attiré notre attention su ce texte dans son commentaire.
Oui au libéralisme
PAR GUY SORMAN *
[01 avril 2005] LE FIGARO
Pour le oui, pour le non, à gauche comme à droite, dans le débat sur la «Constitution» européenne, le camp du mensonge progresse. Ce terme même de Constitution est trompeur, puisque le texte soumis à ratification est plutôt un règlement intérieur à l'administration européenne ; la participation des peuples à la vie de l'Union européenne restera insignifiante, que le texte soit approuvé ou non. Les très légers renforcements des pouvoirs du Parlement européen et un microscopique droit de pétition ajoutés au nouveau traité ne fondent pas une Europe démocratique : pas assez en tout cas pour l'approuver à ce titre. C'est bien parce que ce traité n'est pas une Constitution que dans la plupart des pays d'Europe il n'est pas soumis à un référendum, mais à une banale ratification parlementaire.
Le référendum,
là où il a été décidé, est donc une opération politique qui laisse
croire en un moment historique : c'est une seconde tromperie. La
troisième, qui est moins pardonnable, laisse croire que l'Europe ne
devrait plus être libérale ; Philippe de Villiers vote non pour que
l'Europe soit nationale, Henri Emmanuelli vote non pour qu'elle soit
sociale, Jacques Chirac vote oui pour contrer la «dérive libérale»,
dans le droit fil de son refus de libéraliser les activités de service
en Europe. Or l'Europe est libérale par définition ; une Europe non
libérale, cela n'existe pas.
Quel est en effet le
fondement de l'Europe, tel qu'il fut défini par Jean Monet,
immédiatement après la Seconde Guerre mondiale ? Constatant que les
Etats en Europe n'avaient que trop tendance à se faire la guerre, et
que les hommes politiques étaient incapables d'unir l'Europe, il
fallait, selon Monet, créer entre les peuples des «solidarités
économiques concrètes» : l'unification du marché européen, par le libre
commerce, réduirait l'agressivité des Etats. Cette vision appliquée
avec continuité depuis le traité de Rome, par la Commission de
Bruxelles, a parfaitement réussi : la suppression des obstacles aux
échanges et la monnaie commune ont tissé les liens serrés qui, entre
nous, ont rendu les guerres impossibles et accru la prospérité
générale. Les Français ont été les premiers bénéficiaires de cette
libéralisation puisque le marché européen, le premier débouché de nos
exportations, nous fait vivre ; la poursuite de cette libéralisation
dans les secteurs qui restent protégés, services, agriculture, santé,
nous ferait vivre mieux encore.
Cela est la
réalité : mais la singularité française est la non-reconnaissance de
cette réalité. Une contradiction qui tient en grande partie au statut
de l'économie en France ; considérée dans le monde anglo-saxon ou en
Allemagne comme une science, l'économie, chez nous, passe pour une
idéologie, un sujet de débat où les faits compteraient à peine plus que
les opinions. Notre enseignement général traite peu d'économie, comme
si elle méritait moins d'être connue que l'histoire ou la géographie.
Nos journalistes en rajoutent en laissant croire que le chômage baisse
si l'on s'assoit dessus et des politiciens prétendent que leur seule
volonté redresse un taux de croissance.
Cette
affabulation de l'économie peut s'expliquer par la situation sociale de
ceux qui en parlent le plus, la classe «causante» ou «bavarde»
(chattering), ainsi qu'on la nomme en Grande-Bretagne. Le grand nombre
des bavards appartient au secteur public, les enseignants et
l'Enarchie, deux groupes qui vivent hors marché, hors concurrence : ils
n'aiment guère le libéralisme européen qui réduit leur audience et
leurs pouvoirs. La préférence de cette classe causante pour le statu
quo économique s'étend naturellement au monde international ; les
libéraux appuient le mouvement mondial pour la démocratie et les droits
de l'homme, tandis que les «illibéraux» préfèrent traiter entre
pouvoirs établis, même s'ils sont tyranniques. Mais, dans une Europe
libérale, le destin de cette classe causante est arrêté : elle peut
encore embarrasser l'Europe libérale, elle ne la remplacera par rien
car elle ne produit ni richesses, ni emploi, ni alternative. L'Europe
«illibérale» n'existe pas, et hors de France aucune majorité n'en veut.
De là, comment voter ? Le non serait pire que le
oui ; il laisserait croire au triomphe des «illibéraux». Le oui
permettra au moins d'approfondir le débat et d'espérer pour l'avenir en
une Constitution authentique.
PAR GUY SORMAN * Essayiste.
Bonjour Monsieur,
Les libéraux dites vous "appuient le mouvement mondial pour la démocratie et les droits de l'homme".
Les USA de la seconde moitié du XXème devaient être un pays bien peu libéral. En effet, durant cette période, toutes les dictatures, en dehors de l'Afrique et du monde communiste, n'ont pu survivre autrement qu'avec le soutien des Etats Unis, quand ils ne les ont pas eux mêmes installées au pouvoir.
Je pense que c'est la principale raison de l'incrédulité des français dans la croisade de Georges Bush pour la "libération de l'Irak"(sic).
Dominique POMMIER