Au printemps 2002, les socialistes convaincus que la campagne du PS menait à la catastrophe s’étaient tus pour ne pas affaiblir davantage leur candidat. Je suis de ceux-là, dont le silence a seulement étouffé une chance d’éviter la catastrophe. Résolu à ne plus me taire, je fais campagne pour Ségolène Royal, car seule sa victoire autorise la formation d'un gouvernement de gauche et donc une autre politique que celle menée par N. Sarkozy, ministre de l'Economie puis de l'Intérieur. Mais je m’exprime tout aussi résolument contre le brouillage du clivage qui oppose plus que jamais la droite néolibérale et la gauche socialiste, clivage que les candidats en quête de rassemblement le plus large possible sont naturellement tentés d'estomper.
L’enjeu de l’élection qui vient est bien plus grave que par le passé.
Car la droite a
radicalement changé de nature et avec elle l’enjeu véritable du débat et des
élections. Jusqu’aux années 1990, l’enjeu d’une alternance était une
orientation plus ou moins libérale des politiques économiques et sociales, dans
le cadre d’un modèle social et républicain largement commun et d’une conception
convergente de l’Union Européenne. Le quinquennat qui vient de s’écouler révèle
que la nouvelle droite française est engagée, comme partout dans le monde
développé, dans un projet de transformation radicale du modèle de société qui s’était
imposé depuis l’Après-guerre.
Mais beaucoup d’acteurs
et de commentateurs du débat public conçoivent encore l’enjeu des élections
avec la grille de lecture ancienne et totalement obsolète. Ainsi, on oppose une
droite plus soucieuse de réalisme économique
et de la performance des entreprises à une gauche plus préoccupée par la
redistribution et les droits sociaux ; une droite survalorisant la sécurité et privilégiant la répression de la violence, à
une gauche plus attachée à la prévention et à l’éducation ; une droite
fidèle à
Contresens fatal, car en réalité le projet idéologique et la pratique
politique de la nouvelle droite néo-conservatrice détruisent les perspectives
de progrès économique, maximisent l’insécurité, menacent la paix civile,
détruisent le projet européen et bafouent la démocratie. La droite néo-conservatrice
ne vise plus une démocratie de marché efficace qui surmonte les tensions
sociales par la prospérité générale. Elle vise une dissociété des individus
livrés à la guerre économique, privés de tout pouvoir pour orienter
collectivement leur destin, disciplinés par la peur ou la pression morale de
leur « communauté », au prix, le cas échéant d’une restriction
croissante des libertés publiques. Il n’est pas anodin que Nicolas Sarkozy ne cache
pas son admiration pour l’administration Bush qui est la plus avancée dans
l’accomplissement du modèle néo-conservateur. Ce projet est en réalité
contraire aux intérêts du plus grand nombre, y compris de celui de l’immense
majorité des électeurs de droite.
La nouvelle droite est
aussi dangereuse pour une raison plus insidieuse et plus redoutable : elle
a en partie gagnée la bataille culturelle, la bataille des idées et des valeurs,
au point que nombre d’élites à gauche adhèrent désormais au culte de la
responsabilité de soi et de la performance individuelle, approuvent la chasse
aux « déviants » ou aux parasites qui vivent des indemnités de
chômage, explique la nécessité d’adapter notre système social et fiscal aux
exigences imposées par la guerre économique mondiale, etc. Il s’ensuit un brouillage complet du clivage
gauche - droite qui transforme l’élection présidentielle en compétition des
personnalités et non plus des projets politiques et qui, partout en Europe
nourrit l’abstention ou le vote protestataire aux extrêmes.
Là se trouve une source
essentielle de la défection des classes populaires qui a conduit bien des
socialistes et des sociaux-démocrates à la défaite électorale. Le drame pour la
gauche européenne est que la réaction de ces derniers a jusqu’ici consisté à
prendre acte de la défection de l’électorat populaire et à renforcer leur
dérive centriste pour prendre des voix à la droite. Tous ceux qui aspirent à la
victoire de la gauche doivent faire pression sur le ou la candidat(e)
socialiste pour renoncer à cette stratégie suicidaire qui a déjà conduit à
l’effondrement du candidat socialiste le 21 avril 2002. Car, pour le moment, seul Laurent Fabius refuse clairement cette stratégie fatale.
Je crois aussi que la
gauche doit conquérir une partie de l’électorat de la droite. Mais elle n’y
parviendra pas en « droitisant » son discours, en brouillant son
opposition au projet de la droite, et en renonçant à reconquérir d’abord la
confiance des petits, des sans-grade, des estropiés de la compétition
sauvage... Elle peut le faire en expliquant combien le projet de la nouvelle
droite est dangereux pour la paix civile, pour la sécurité des personnes, pour
la prospérité de notre économie, pour la démocratie et pour la préservation de
l’Union européenne.
Voilà pourquoi j’ouvre ici une tribune à tous ceux qui
veulent apporter leur contribution à cette salutaire « pression ». Je
crée à cet effet une série de débats ouverts par une simple déclaration
un peu lapidaire de mon orientation sur la question. À chacun d’apporter ses
arguments.
Le présent article général n’est pas ouvert aux commentaires.
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intervenir, cliquez sur le thème de votre choix dans la colonne de gauche,
rubrique DROITE DANGEREUSE.