Jacques Généreux :« Le modèle néolibéral repose sur l'amputation brutale d'une de nos aspirations, celle de bien vivre ensemble, au profit de la seule aspiration à s'affirmer soi ». (Photo DNA - Philippe Dobrowolska)
Jacques Généreux pointe les risques d'une
société fondée sur la performance individuelle, la compétition généralisée et le chacun pour soi.
Dans votre
livre (*), vous analysez la crise actuelle du politique et vous dites que ses
racines sont plus profondes qu'on ne le croit.
Pourquoi des démocraties, qui sont des sociétés
libres où les gens peuvent voter et changer de gouvernement, n'arrivent pas à
régler des problèmes sociaux dramatiques ? Je suis parti de cette
impuissance du politique qui entraîne la désaffection des citoyens pour la
chose publique.
En prolongeant cette réflexion, je suis tombé sur la nécessité d'une
enquête plus profonde. Nous sommes confrontés à une énigme : comment se
fait-il qu'on constate tant de souffrance psychique des individus au travail,
de stress, de dépressions, de protestations dans des sociétés qui dégoulinent
de richesse, de progrès technologique ? Ce paradoxe pose une question qui
va au delà de la simple crise politique. Pourquoi chacun d'entre nous ne
cherche-t-il pas, et collectivement ne cherchons-nous pas, à faire autrement
alors que nous le pouvons ?
La thèse que vous développez est que
nous sommes dans une « dissociété », que la société évolue en isolant
les citoyens les uns contre les autres...
Ce que j'appelle « dissociété » est la
décomposition d'une communauté humaine, solidaire, soudée autour de l'idée de
République ou de nation, en sous-communautés rivales, repliées sur elles-mêmes.
Et à l'intérieur même de ces sous-communautés l'extension d'un principe de compétition généralisée entre les
individus, l'installation d'une nouvelle culture où l'on ne s'épanouit que dans
la performance individuelle et donc la rivalité avec les autres. Aux
Etats-Unis, vous avez des manifestations très concrètes de ce phénomène avec la
construction depuis une vingtaine d'années de villes privées, barricadées, où
ne vit qu'une catégorie de population : soit une catégorie sociale, soit
une classe d'âge. La dissociété, c'est cet éclatement dans une société où on
vit de plus en plus difficilement avec les autres.
Vous dites que cette
« dissociété » est le fruit de l'évolution « néolibérale »
de la société. Cette orientation n'est pas une fatalité économique, selon vous,
mais un choix politique...
On nous dit que la nouvelle tournure du capitalisme mondial est une loi naturelle, une évolution inéluctable de l'économie. Tout cela est faux ! Aucune mutation économique, technologique ou démographique n'impose un système de compétition généralisée et un recul du contrôle public de l'économie ! Il y a des choix politiques délibérés, qui se sont effectués progressivement à partir de la fin des années 1970, pour aller vers une société de ce type.Les pays occidentaux ont abandonné le consensus socio-démocrate de l'après-guerre qui était un accord sur le partage des gains de la croissance entre le travail et le capital, une certaine régulation de l'économie, et une priorité donnée à la croissance et à l'emploi dans les politiques économiques.Les priorités se sont renversées à la fin des années 1970. Ce changement de rapports de force est politique : ce n'est pas la technologie ou des martiens qui sont tombés du ciel pour dire "maintenant on fait comme ça !"
La rupture de l'équilibre d'après-guerre est le fruit de plusieurs facteurs : l'effondrement progressif du système soviétique, et des régimes communistes en Europe, ainsi qu'un phénomène de générations. Les dirigeants et cadres qui arrivent au pouvoir à la charnière des années 1970-1980 ont objectivement intérêt à un renversement des priorités de la politique économique vers la lutte contre l'inflation et une meilleure rémunération du capital parce que ce sont des générations qui, grâce aux politiques anciennes menées pendant les trente glorieuses, ont pu accumuler un capital immobilier ou financier.
Ce choix politique se manifeste par le renversement de la politique monétaire et par la libéralisation de la circulation internationale des capitaux. Se crée alors une nouvelle compétition qui change totalement de nature. Avant, vous aviez une concurrence sur les produits, sur les biens pour qu'ils captent le mieux les marchés. Cette concurrence saine est remplacée par une compétition entre managers pour avoir le meilleur taux de rentabilité à court terme et ne pas se faire lâcher par les actionnaires.
Mais avait-on le choix de ne pas suivre cette évolution de libéralisation des mouvements de capitaux ?
Quand les Etats-Unis, puis
Vous ne
proposez pas de modèle politique alternatif et dites qu'il faut avant tout
mener une bataille d'idées...
Pourquoi acceptons-nous un système économique qui
fait souffrir le plus grand nombre et nous conduit à une impasse écologique
monumentale, juste au profit de quelques minorités qui détiennent le
capital ? C'est une forme de servitude volontaire. Selon les néolibéraux,
cette dureté est acceptée car elle s'inscrit dans la nature humaine qui est la
loi de la jungle et le « chacun pour soi ». Mais nous avons tous
l'expérience dans notre vie que nous ne sommes pas que ça. Nous avons autant
besoin d'être aimés, d'aimer, d'avoir des relations pacifiées avec les
gens !
Le modèle néolibéral repose sur l'amputation brutale d'une de nos
aspirations, celle de bien vivre ensemble, au profit de la seule aspiration à
s'affirmer soi. Si nous acceptons la conception de la nature humaine portée par
le modèle néolibéral, c'est parce qu'elle est ancrée dans l'histoire moderne
des idées. La totalité des courants de la pensée politique, depuis Descartes,
et des penseurs comme Hobbes, défendent cette conception dissociée d'un
individu. Mon propos est qu'il faut se débarrasser de cette culture fausse.
Nous sommes avant tout des être sociaux. La nature humaine se fonde sur une
double aspiration : à « être soi » et à « être avec les
autres ». Une société humaine est celle qui permet une interaction harmonieuse
entre ces deux aspirations !
Propos
recueillis par Elodie Bécu
Lire des extraits de La Dissociété
Bonjour,
300 000 morts, 3 millions de deplaces, le Darfour c’est l’enfer sur terre, on peut arrêter le conflit.
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