Intervention de Jacques Nikonoff, président d'Attac-France aux Rencontres d'été de « Pour la République Sociale » (PRS), ARLES, 3 juillet 2005
http://www.france.attac.org/a5238
anti-libérale ».
Avec : Bernard Defaix (porte-parole du collectif creusois) ; Jacques
Nikonoff (président d'Attac-France) ; Jacques Serieys (animateur PRS
Aveyron).
Chers Amis et Camarades,
Je voudrais remercier Jean-Luc Mélenchon d'avoir invité des représentants
d'Attac à l'université d'été de PRS. Nous avons accepté cette invitation
avec plaisir, d'autant que nous avons mené en commun le combat victorieux du
référendum.
Vous aurez cependant observé qu'aucun représentant d'Attac ne participe au
meeting de tout à l'heure. Il a en effet pour thème « Une nouvelle union des
gauches est-elle possible ? ». Il rassemble Francine Bavay des Verts,
Olivier Besancenot de la LCR, Marie-George Buffet du PCF et Jean-Luc
Mélenchon du PS.
Comme Attac n'est pas un parti politique mais une association, nous n'avions
aucune raison de participer à ce meeting. En revanche nous sommes
parfaitement à notre place d'association d'éducation populaire tournée vers
l'action dans le présent atelier sur les services publics et dans l'atelier
sur les questions de santé avec Bernard Teper, animateur de la Commission
santé d'Attac.
Je fais cette remarque car certains d'entre vous ont peut-être lu le journal
Le Monde daté du 2 juillet.
On peut y lire une déclaration de Julien Dray selon laquelle Attac « est
devenu un bras armé contre le PS, elle est sortie des clous en prenant parti
dans une querelle de la gauche, en devenant une sorte de bouclier derrière
lequel se sont réfugiés l'extrême gauche et le PCF, qui ont compris qu'ils
pouvaient lui laisser faire le sale boulot ».
Julien Dray estime que Attac s'est transformée en « nouveau parti radical, à
l'extrême gauche ».
Harlem Désir ajoute que « Avant, on pouvait être au PS, chez les Verts ou à
la LCR et se sentir à sa place à Attac. Maintenant, en tant que socialiste,
c'est très difficile ».
Avant d'intervenir sur les services publics, permettez-moi de réagir
brièvement à Julien Dray et à Harlem Désir.
Je voudrais d'abord vous rassurer : Attac n'est pas devenu un parti
politique. Notre engagement dans la campagne référendaire, que tout le monde
souligne, même nos adversaires, résulte d'une démarche ancienne de
l'association. Nous avons toujours considéré que la construction européenne
actuelle était le cheval de Troie du libéralisme. Et nous n'avons fait que
notre travail d'éducation populaire, tourné vers l'action, en nous engageant
à fond dans cette bataille. D'autant que les adhérents d'Attac nous avaient
donné le feu vert, à 85 %, lors d'une consultation interne.
Alors croyez-moi, les militants d'Attac sont très fiers d'avoir fait « le
sale boulot », comme dit Julien Dray !
Nous ne pouvons pas et ne voulons pas devenir un parti politique. Il existe
trois raisons à cela :
Première raison : il n'y a pas d'espace pour un nouveau parti politique.
Il existe déjà beaucoup de partis et mouvements politiques : trois partis
trotskistes ; le PCF et ses différentes sensibilités ; le PS et ses
tendances ; les Verts ; le MRC ; de multiples petits groupes. Et je ne parle
même pas des partis de droite.
Où voulez-vous que l'on se mette ? Certes, à la fin de notre atelier, autour
d'une bonne bouteille, à quelques uns, il est toujours possible de créer un
parti politique. Il est même possible d'en créer un tous les jours. Mais si
c'est pour faire 0,1 % ou 0,5 %, quel intérêt ?
Deuxième raison : l'altermondialisme n'est pas un courant d'opinion
traditionnel.
Vous le savez mieux que quiconque : les partis reposent toujours sur des
courants d'opinion. Ces derniers rassemblent des citoyens ayant une vision
partagée de la société et de son devenir ; ils ont une histoire et des
références communes ; ils présentent une certaine homogénéité sur le plan
idéologique et politique.
Le mouvement altermondialiste répond-il à ces critères ? Absolument pas, il
est trop hétérogène et trop transversal.
Cette hétérogénéité, nous l'appelons diversité. Non pour masquer nos
divisions, mais parce que nous considérons réellement qu'elle nous enrichit.
Elle serait un handicap si nous visions le pouvoir ; elle est un atout dans
les contre-pouvoirs. Prenons quelques exemples :
- il y a ceux qui veulent de la croissance et ceux qui prônent la
décroissance ;
- ceux qui luttent pour le plein emploi et ceux qui réclament le
revenu universel ;
- ceux qui sont favorables au nucléaire et ceux qui y sont opposés ;
- ceux qui veulent le pouvoir et ceux qui préfèrent les
contre-pouvoirs ;
- ceux qui souhaitent une Europe fédérale et ceux qui aspirent à une
Europe des nations ;
- ceux qui ne jurent que par les réseaux et ceux qui croient en
l'organisation.
Comment voulez-vous, dans ces conditions, faire un programme de gouvernement
et gouverner ensuite, ce qui est le rôle d'un parti politique ?
Le mouvement altermondialiste est de surcroît transversal. Il ne peut être
comparé aux courants politiques traditionnels car il traverse tous les
autres courants, ou tout au moins beaucoup d'entre eux : on peut être
trotskiste et altermondialiste ; communiste et altermondialiste ; socialiste
et altermondialiste ; écologiste et altermondialiste ; tiers-mondiste et
altermondialiste ; syndicaliste et altermondialiste. Il existe peu de
citoyens qui se déclarent uniquement altermondialistes.
Troisième raison : les adhérents d'Attac ont déjà rejeté cette hypothèse.
J'ai proposé moi-même une résolution lors de l'Assemblée générale 2004,
après l'épisode des listes 100 % Altermondialiste, pour rejeter clairement
la tentation partidaire. Elle a obtenu 85 % des voix, 11 % d'abstentions et
nuls, 4 % de contres. C'est donc une affaire réglée : les adhérents d'Attac
ne veulent pas transformer leur association en parti politique.
Restons un instant sur cette affaire des listes 100 % Altermondialiste que
les amis qui nous veulent du bien nous resservent en permanence.
Une dizaine de militants d'Attac, avec d'autres, ont tenté cette aventure
lors des élections européennes. Ils croyaient pouvoir présenter des listes.
Evidemment ils n'y sont pas parvenus. Mais cette initiative a été montée en
épingle par la presse qui a tenté de déstabiliser la direction d'Attac,
accusée de l'avoir soutenu en sous-main. Depuis il existe une véritable
croyance, chez certains, au sens religieux, et même en notre sein, que nous
préparerions la transformation d'Attac en parti politique.
J'espère vous avoir démontré combien une telle perspective était irréaliste.
Mais cela fait partie des tentatives de déstabilisation, qui se multiplient
depuis le 29 mai, notre association dérangeant manifestement beaucoup de
monde.
Ceci dit, la question du « débouche » ou de la « traduction » politique de
notre action reste entière. Nous le reconnaissons : il y a un manque, une
limite à ce que nous faisons. C'est pour cette raison que des militants sont
tentés par l'aventure de la création de partis.
Nous avons toujours dit, et nous restons fidèle à ce principe, qu'il est
nécessaire de régénérer les partis. Je pense d'ailleurs que la campagne
référendaire y a contribué et qu'elle n'a fait qu'éloigner un peu plus le
mirage de la possibilité de créer un parti politique altermondialiste. A
tous nos militants et amis qui veulent une suite politique à notre action
d'éducation populaire nous disons : adhérez aux partis politiques ! Nous
n'indiquons évidemment pas lesquels, c'est à chacun de choisir !
Revenons à des choses plus sérieuses et à l'objet de cet atelier. Et
pardonnez-moi de l'avoir utilisé comme tribune, puisque des journalistes
sont ici, et que cet article du Monde ne pouvait rester sans réponse.
Après ces quelques commentaires, je voudrais évoquer l'Accord Général sur le
Commerce des Services (AGCS) car il est la principale menace qui pèse sur
les services publics.
Permettez-moi de rappeler brièvement ce qu'est l'AGCS. Ce processus a été
engagé à Marrakech le 14 avril 1994, lors d'une réunion de l'Organisation
mondiale du commerce (OMC). Son objectif est d'obtenir, par « une série de
négociations successives », une libéralisation et une privatisation de «
tous les services de tous les secteurs ».
En novembre 2001, à Doha, lors d'une nouvelle réunion de l'OMC, l'Union
européenne a considéré que ces négociations n'avançaient pas assez vite.
Elle a donc proposé - et obtenu - la mise en place d'un mécanisme de
demandes et d'offres. Chaque pays adresse à chacun des autres pays la liste
des services qu'il veut voir libéraliser chez eux (ce sont les demandes), et
chaque pays annonce la liste des services qu'il est disposé à libéraliser
chez lui (ce sont les offres).
En septembre 2003, à Cancun au Mexique, lors d'une nouvelle réunion de
l'OMC, l'Union européenne a encore voulu relancer le processus. C'est ainsi
que tout devra être terminé pour le 1er janvier 2006. Tout ceci se fait,
comme d'habitude, dans l'opacité la plus totale.
L'AGCS est une attaque frontale contre tous les services publics et avec
eux, des valeurs de collectivité, de solidarité et de démocratie. Tout sera
désormais subordonné à la marchandise. Les rapports humains deviendront
alors eux-mêmes des marchandises, l'homme deviendra logiquement lui-même une
marchandise.
Avec l'essor des neurosciences et de la biochimie génétique, l'homme devient
une matière transparente, naturelle, démontable, séquençable. Tout peut donc
se vendre et s'acheter pareillement : solide, liquide, minéral, végétal,
animal et humain. Nous en avons les plus claires manifestations récentes
dans le brevetage du génome humain.
Dans ce qui a pour ambition de devenir un modèle de civilisation, où la
liberté de l'individu se confond avec celle de l'entreprise, l'individu doit
lui aussi, pressé par l'urgence, s'épanouir dans la compétition, dans un
mode de concurrence à l'autre généralisée. Dès lors, se réaliser c'est
consommer, toujours plus, devenir toujours plus un super consommateur qui
doit jouir le plus possible et le plus rapidement possible. « Chacun pour
soi » devient « tous pareils ». Cela implique la fin du particulier, du
singulier, qu'il soit individuel ou collectif : même consommation, même
culture, un seul et même standard. Les différences éthiques, sociales,
environnementales, culturelles, ne sont plus qu'autant d'entraves au
commerce et au marché.
Je voudrais maintenant essayer d'apporter quelques rapides éléments sur la
manière d'imaginer l'AGCS s'installant demain parmi vous, les élus et
citoyens qui êtes ici, bouleversant peu à peu tous les repères de la vie
quotidienne.
Essayons de nous représenter ce que serait, demain avec l'AGCS, une
structure accueillant du public, comme une crèche, un service hospitalier,
un centre médico-éducatif, une maison de retraite ou un établissement
d'enseignement. Avec l'AGCS, l'ensemble, la totalité, la finalité sociale,
le but éthique auquel répond chacun de ces lieux ne présente aucun intérêt.
Ce qui va intéresser l'AGCS, ce sont juste les différentes fonctions
techniques qu'on peut y découper :
- l'accueil ;
- la sécurité ;
- la restauration ;
- l'entretien des bâtiments ;
- le nettoyage ;
- l'animation ou l'enseignement ;
- le soutien psychologique.
Si vous livrez ce lieu à l'AGCS, sur la base d'appels d'offres, vous pourrez
aboutir à toute une série d'interventions, en sous-traitance, de techniciens
limités à leur tâche spécifique, réalisée dans l'urgence et au moyen de
contrats flexibles et précaires, basées sur des choix purement technicistes
et économistes, là où vous aviez une équipe, un collectif qui essayait de
s'articuler de manière cohérente autour d'un objet commun, humainement
considéré : des enfants, des patients, des personnes âgées, des élèves.
Avec l'AGCS, si vous voulez conserver une cantine scolaire municipale, il
faudra déjà pouvoir prouver lors de l'appel d'offre, la rentabilité de votre
prestation, et si vous voulez introduire dans votre cahier des charges, la
traçabilité des aliments, par exemple, connaître l'origine des viandes, ou
interdire l'emploi d'aliments Organismes génétiquement modifiés (OGM), vous
serez passible de poursuites judiciaires pour la raison que ces clauses
constituent autant d'obstacles non nécessaires au commerce.
Cela signe la fin de toute intervention politique et collective dans les
domaines économiques et sociaux. Cela signe aussi la fin de la démocratie,
car l'exercice par les élus de leur pouvoir est extrêmement limité par
l'accord. Les élus ne serviront plus à rien, ils seront remplacés par le
marché. Les villes deviendront des marchandises, les unes en concurrence
avec les autres, afin d'être « attractives ». Les élus ne seront plus que
des « commerciaux », une simple « force de vente », des voyageurs de
commerce tentant de délocaliser les entreprises de la ville voisine pour les
relocaliser chez eux.
Alors que faire pour s'opposer à l'AGCS et défendre la démocratie ?
En France, Attac avec d'autres a collecté pour l'instant près de 1 000
signatures de collectivités publiques, de toutes origines politiques et de
toutes tailles, qui se déclarent « zone hors AGCS ».
La même démarche est engagée dans d'autres pays européens. Les 13 et 14
novembre, à Bobigny, se sont tenus des Etats généraux des collectivités
publiques françaises contre l'AGCS. Nous y avons échangé nos expériences et
décidé d'initiatives auprès du gouvernement français et de la Commission
européenne pour exiger un moratoire. Nous avons décidé d'organiser des Etats
généraux à l'échelle européenne, à Liège, les 22 et 23 octobre.
Voilà une initiative qui se place dans la suite du 29 mai et à laquelle, les
uns et les autres, nous devrions attacher la plus grande importance.
Je vous remercie.
La démarche de responsables du parti socialiste consistant à s'informer auprès d'associations telles qu'Attac, et à alimenter le débat d'idées avec des forces du mouvement social, me paraît salutaire et indispensable.
C'est en recherchant une nouvelle dynamique au sein des forces de gauche que l'ensemble des forces de gauche parviendront, sur des bases programmatiques inédites et alternatives, à combattre et à vaincre le libéral-populisme.
A gauche, il est temps de respirer l'air frais du renouveau et de se débarasser des vieilles lunes "sociales-libérales" !
C'est en créant de nouvelles synergies sociales que nous y parviendront.
Un peu d'oxygène, Camarades, ne peut faire que du bien à la santé du socialisme.
Bravo donc à J. Généreux, à J.L. Mélenchon et à tant d'autres pour cette initiative nécessaire et constructive.