Jacques Généreux : « Il faut reprendre le contrôle de la finance »
Nous, on peut ! C’est le titre choisi par Jacques Généreux pour son précis d’économie politique à l’usage du simple citoyen. Prof à Sciences Po et secrétaire national du Parti de gauche, il affirme qu’il est possible de gouverner face aux crises, aux banques et à la pression financière.
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Regards.fr : En 2008, vous avez quitté le Parti socialiste pour vous engager dans la construction du Parti de gauche avec Marc Dolez et Jean-Luc Mélenchon. Quel bilan tirez-vous de ces trois années passées dans cette nouvelle organisation politique ?
Jacques Généreux : Lors du congrès du PS de 2008, toutes les conditions sont réunies pour que la gauche de rupture avec le capitalisme fasse un excellent résultat. Or elle fait le plus mauvais score de son histoire. Avec Marc Dolez et Jean-Luc Mélenchon, nous étions convaincus que les combats que nous menions au sein de ce parti étaient voués à l’échec et nous avons quitté le PS. Nous avions gagné la campagne du « non » au traité constitutionnel et une force politique manquait singulièrement pour incarner cet élan politique. Au départ, nous ne souhaitions pas donner naissance à un nouveau parti mais réussir le rassemblement de l’ensemble des forces de la gauche de gauche. La LCR était en train de se transformer en NPA, le PCF souhaitait garder sa forme « parti », nous n’avions donc pas d’autre choix que de créer le Parti de gauche. Dans le même temps, l’idée de constituer le Front de gauche s’est imposée. Nous avons obtenu des scores significatifs aux élections européennes et régionales. S’en est suivi la candidature unitaire de Jean Luc Mélenchon pour 2012. Après trois années, le NPA mis à part, un rassemblement inédit existe avec le PCF, la Gauche unitaire, les Alternatifs, la Fédération pour une alternative sociale et écologique, des personnes venues des Verts, du mouvement social et syndical. Je ne pensais pas que les choses iraient aussi vite.
Regards.fr : La crise actuelle est-elle une crise du capitalisme comme les autres ou a t-elle des origines nouvelles ?
Jacques Généreux : Toutes les crises du capitalisme ont deux sources : la surexploitation du travail et/ou les jeux spéculatifs. Nous subissons le résultat de 30 ans de mondialisation de l’économie caractérisés par la diminution de la rémunération du travail, la régression du pouvoir d’achat des travailleurs, la captation des profits par les revenus du capital, l’accumulation du patrimoine. Le capitalisme s’est enfermé dans un mode de croissance insoutenable. Comme la croissance est vitale au capitalisme, la méthode utilisée est, selon les pays, le recours à l’endettement privé ou public selon les pays. Les États-Unis ont beaucoup joué sur le surendettement des ménages, d’où la crise des subprimes ; d’autres pays ont augmenté leurs dépenses publiques.
L’élément de nouveauté est l’accentuation de la libéralisation de la finance ; au lieu de tirer les leçons des crises précédentes, des produits financiers les plus toxiques sont aujourd’hui autorisés.
Regards.fr : Livre après livre, vous insistez sur le fait que ce n’est pas au politique de prendre le pouvoir sur l’économie, mais aux peuples de reprendre le pouvoir sur leur gouvernement…
Jacques Généreux : Je mets au jour l’un des mythes fondamentaux qui a été véhiculé par les néolibéraux, mais aussi par une partie du mouvement altermondialiste : dans cette économie mondialisée, les gouvernements nationaux ne seraient plus armés pour contrôler l’économie. Ce diagnostic est faux. En réalité, les États ont toujours gouverné l’économie. Ce ne sont pas les Martiens qui ont libéré les innovations financières, qui ont laissé les banques de dépôt faire de la spéculation et retiré aux banques centrales leur pouvoir de soutenir la finance publique. Les territoires se sont retrouvés en compétition, une compétition bien utile aux néolibéraux pour briser les résistances sociales et syndicales.
Un État comme la France ne peut pas contrôler les mouvements de capitaux à ses frontières, ni les taux de change ; il est menotté par les traités européens. Mais les gouvernements se sont passés à eux-mêmes des menottes en plastique, elles peuvent donc être cassées à tout moment.
L’enjeu n’est pas que le politique reprenne le pouvoir sur l’économie mais de remettre le politique sous le contrôle des citoyens. Il faut casser ce système oligarchique qui fait qu’une minorité d’individus arrive à mobiliser à son seul avantage l’ensemble de la puissance publique. L’enjeu est une révolution démocratique.
Regards.fr : Comment feriez-vous concrètement pour remettre le pouvoir aux citoyens et renverser cette oligarchie de banquiers et de financiers ?
Jacques Généreux : Dès l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle majorité de gauche résolue à rompre avec ce système, il faudra reprendre le contrôle de la finance. Il faut réinstaurer le contrôle des mouvements de capitaux à nos frontières et interdire les produits financiers purement spéculatifs. Les capitaux peuvent circuler librement s’ils ont une utilité économique et sociale. Les transactions financières autorisées doivent être fortement taxées. Ensuite, il faut renationaliser le financement de nos biens publics. Lorsqu’un État emprunte pour financer les biens publics, il doit avoir recours à son marché national ou au marché européen pour un pays de la zone euro. Il faut également rétablir un portefeuille minimal obligatoire de titres publics dans les comptes des grandes institutions financières, voire des grandes entreprises. Il s’agit de garantir le placement de la dette publique auprès d’institutions et de sécuriser les bilans des institutions et des grandes entreprises. Dans le même temps, le pouvoir est redonné à la Banque centrale pour concourir efficacement au financement des titres publics. Il s’agit de créer de la monnaie en contrepartie de cette dette publique et ce, dans des limites fixées par la loi.
Voici une panoplie de mesures de base qu’auraient pu mettre en place Georges Papandréou en arrivant au pouvoir en Grèce. S’il n’avait pas été lobotomisé par l’idéologie néolibérale, il aurait pu fermer le marché financier, suspendre tout règlement de la dette, et annoncer à ses créanciers qu’ils ouvraient des négociations avec ceux qui acceptaient de le refinancer s’il en avait besoin. Contrairement à tout ce qui est dit, un État ne tombe jamais en faillite ! De plus, il a une armée pour imposer ses décisions. L’Union européenne n’a pas non plus pris les décisions nécessaires pour stopper ladite crise de la zone euro. Elle avait deux options : jouer la solidarité entre les dettes européennes ou demander, par traité, à la Banque centrale d’intervenir. La dramatisation de la crise grecque sert à créer un climat de peur et à imposer des politiques de rigueur dans tous les pays. On nous répète à longueur de temps que les gouvernements se réunissent pour rassurer les marchés financiers, on pensait que les gouvernements devaient s’occuper de leur population et de leur pays !
Regards.fr : Mais si de telles mesures sont mises en place. Quelles conséquences ? Capitaux, entreprises, diplômés : qu’ils s’en aillent tous ?
Jacques Généreux : C’est la grande peur des représailles qu’on agite en permanence : si vous taxez les plus riches, ils vont fuir avec leur argent. D’abord, il faudrait qu’ils partent avant l’arrivée au pouvoir d’un vrai gouvernement de gauche. Parce qu’il ne faut que quelques minutes pour instaurer les décrets nécessaires à l’interdiction des placements spéculatifs et taxer très fortement les transactions financières. Les capitaux pourront circuler s’ils contribuent au bon financement de l’économie réelle. En très peu de temps, il est possible de lever des légions d’inspecteurs pour contrôler ces transactions. En plus, ces capitaux accumulés ne servent à rien car ils ne sont plus investis dans l’industrie. Aux États-Unis, ce que les actionnaires pompent en dividende est supérieur aux apports de capitaux dans l’économie réelle. Si on fermait la bourse, les entreprises seraient plus riches. Quant aux managers, s’ils partent parce qu’ils gagnent de 400 000 euros par an et bien bon débarras. La France est un pays qui regorge de diplômés et d’entrepreneurs ravis de vivre leur passion pour des salaires décents. L’interdiction de la spéculation nocive est aussi une façon de renverser les pouvoirs à l’intérieur des entreprises et les vrais entrepreneurs peuvent y être sensibles.
Pour les délocalisations, il s’agit souvent d’un processus long, nous avons donc largement le temps de mettre en place des instruments d’intervention publique pour les éviter. Nous pouvons rétablir les autorisations administratives de licenciement. Pour délocaliser, il faut déplacer du capital, la forte taxation peut être décourageante. Je pense que cela ne serait même pas nécessaire, parce que la France est un pays attractif pour les investisseurs : une main-d’oeuvre qualifiée et efficace, une administration sérieuse, des infrastructures de communication et de transport efficaces, des très bons systèmes éducatif et de santé.
Il faut aussi regarder le projet politique du Front de gauche dans son ensemble. Je crois en une nouvelle politique de progrès humain, de reconversion de notre économie, de notre industrie,etc. Par ailleurs,la planification écologique peut engendrer un développement fabuleux d’activités, d’emplois, une croissance écologiquement soutenable qui fera bien plus que compenser d’éventuelles pertes d’activités traditionnelles et polluantes.
Regards.fr : Faut-il maintenant sortir de l’euro ?
Jacques Généreux : Tout ce que je raconte ne semble pas possible dans le cadre européen et bon nombre de personnes sérieuses prônent une sortie de l’euro. Il y a d’autres voies que le nationaliste, souvent néo-faciste, ou l’abdication devant le néolibéralisme. Nous souhaitons rester dans le cadre européen au sein duquel il y a eu des apports importants en terme d’environnement, de sécurité, de développement économique, de progrès social, de biens publics. Nous sommes internationalistes et donc pour le renforcement de la coopération des peuples. Il y a une voie pour faire changer les choses dans l’Union européenne : la subversion en interne. On reste dedans et on désobéit de manière fort aimable et diplomatique : nous prévenons les autres gouvernements que conformément au mandat du peuple français, nous n’allons pas respecter un certain nombre de traités et de directives européennes. Est-ce qu’on risque des mesures de rétorsion ? Non, il existe de nombreuses conditions pour entrer dans l’Union européenne, mais aucune pour en être exclu. Si un seul pays décide de reprendre en partie le contrôle de sa banque centrale, s’il interdit certains produits financiers et s’il reprend le contrôle partiel des mouvements de capitaux, bref, s’il se met à l’abri de la spéculation, ça change tout pour la France et pour l’Europe. Les pays voisins verront que sans sortir de l’euro, sans faire de drame, on peut faire autrement pour régler la crise. Les Grecs, les Portugais, les Irlandais n’accepteront plus l’austérité et ils chasseront les gouvernements actuels. À partir de ce moment-là, c’est une révolution par le vote qui débouchera sur une vraie renégociation des traités européens et des directives.
Regards.fr : Sauf que la gauche de gauche ne décolle pas, elle ne cristallise pas encore les résistances dans les mouvements sociaux et la jeunesse indignée…
Jacques Généreux : Toutes les formes de militantisme n’ont pas vocation à se fondre dans la forme « parti ». Il s’agit maintenant de faire comprendre que le Front de gauche constitue un débouché politique crédible aux mouvements sociaux.
Dans les périodes de crise, il y a un piège démocratique qui peut se refermer. Les classes populaires ont toutes les raisons de ne plus faire confiance à cette gauche qui les a trahies. La droite est décrédibilisée. L’abstention et le vote réactionnaire grandissent. La pire des situations serait que la gauche gagne mais sans volonté de rupture avec la finance et l’Europe libérale : une alternance politique mais sans alternative. Le pays s’enfoncerait dans de nouvelles formes d’inégalités qui conduiraient à des révoltes violentes. Si les électeurs français savaient ce qu’est l’offre alternative du Front de gauche, il y aurait un résultat massif. Nous sommes engagés dans une course de vitesse.