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Témoignage d'un revenu du Oui. (jusqu'alors chargé de rédiger des argumentaires pour le oui de droite)

Par Thibaud de La Hosseraye • Débat européen • Vendredi 20/05/2005 • 17 commentaires • Version imprimable

A 15 jours de l'échéance électorale du 29 mai, je crois de mon devoir de citoyen d’apporter au débat public quelques éléments tirés de mon expérience personnelle. Je n’ai pas eu le courage d'en prendre le temps auparavant, je le fais maintenant sans plaisir. De prime abord naturellement favorable au projet de Constitution européenne – un « oui du cœur » –, j’ai passé tout le temps de la campagne à l’intérieur de l’un des principaux états-majors du Oui jusqu’à ce que, progressivement confronté au texte lui-même par la nécessité de répondre aux arguments du Non, j’en vienne à réaliser que ce projet de Constitution était dangereux pour la démocratie républicaine. Instruit par les incohérences argumentatives du Oui, se sont bien plutôt imposés à moi nombre d'arguments favorables au Non, jamais entendus, qui m'ont retourné et engagé à soutenir résolument un "Non de raison". S’ils m’ont convaincus, peut-être pourront-ils servir à d’autres.

Je m’appelle Thibaud de La Hosseraye, j’ai 28 ans et une formation à la fois commerciale (HEC, spécialisation « Europe ») et philosophique (D.E.A). Sur les mérites supposés de ces diplômes (et, peut-être, d’un prix de l’Académie des Sciences morales et Politiques) (1), j’ai été recruté en décembre 2004 par le club Dialogue & Initiative pour participer bénévolement à leurs travaux. Laboratoire d’idées du courant de pensée de Jean-Pierre Raffarin, donc véritable « brain trust » du Premier Ministre, Dialogue & Initiative est structuré en Commissions chargées d’approfondir différentes thématiques en vue d’alimenter la réflexion des parlementaires se reconnaissant dans cette sensibilité politique (2).

J’ai pour ma part intégré la Commission Europe. Mais ce que je n’avais pas prévu, c’est que, d’une réflexion de fond devant initialement porter sur le contenu de l’identité européenne, nous allions bientôt nous trouver engagés de plain-pied dans la campagne référendaire. Dès janvier 2005, il n’a plus été question de réfléchir posément à la définition de « la meilleure Europe possible », nous étions activement mobilisés pour produire des argumentaires en faveur du Oui.

Ayant toujours été très favorable à la construction européenne et n’éprouvant aucune réticence à l’idée de la doter d’une Constitution, je me suis volontiers adapté, et j’ai commencé à étudier de près ce projet de Constitution pour produire des argumentaires de soutien. Cela était somme toute cohérent : c’est parce que ma spécialité supposée était l’argumentation que l’on me missionnait à présent en priorité sur la rédaction d’argumentaires.

Alors que je m’acquittais du moins mal que je pouvais du travail que l’on m’avait confié, j’ai été, au milieu de la campagne, lors d’une de nos réunions hebdomadaires du lundi (3), troublé d’entendre le participant le plus autorisé énoncer sur le ton de l’évidence que « comme on ne peut pas contrer les arguments du Non, il faut le discréditer, le ringardiser »(4) …. sans que cela ne soulève la moindre vague de protestation chez les participants.
Outre son caractère déontologiquement contestable, cette stratégie me paraissait se fonder sur la résignation à une déconvenue théorique : or, pour ma part, c’était parce que j’étais convaincu de la plus grande pertinence des arguments du Oui que j’acceptais de militer en sa faveur.

Mais, du jour où je constatais que ceux-là même qui proclamaient haut et fort leur attachement au projet de Constitution n’hésitaient pas, dans le même temps, à reconnaître la supériorité théorique des arguments du Non… sans en tirer pour eux-mêmes de conséquences, j’étais en droit de m’interroger sur leurs motivations réelles à soutenir leur camp. Si ce n’était pas par conviction, pour quelle raison, alors ?

Nul ne peut le dire à leur place. Mais, pour ce qui est des responsables politiques eux-mêmes, dont les participants aux réunions de Dialogue & Initiative ne sont que les fidèles collaborateurs (plus ou moins directs), il suffit ici de constater combien leur engagement si fébrile en faveur d’un Oui qui ne les convainc pas paraît à tout le moins accréditer l’hypothèse que leur spontanéité à choisir leur camp se trouve limitée par l’intérêt direct qu’ils ont à ce que cette Constitution soit ratifiée : en cas de victoire du Non, ils seraient les premiers à en faire les frais dans la mesure où ils seraient définitivement discrédités pour renégocier quelque nouvelle Constitution que ce soit.

Et en effet, si cette Constitution dont gouvernements de droite comme de gauche se sont rendus responsables(5) ne passe pas, le problème n’est pas qu’elle ne pourra pas être renégociée (6), mais seulement que c’est par eux qu’elle ne pourra pas l’être (cf. l’argument 11). Dès lors il devient impératif, pour tout professionnel de la politique disons un minimum soucieux de son avenir, d’user de tous les moyens disponibles pour faire passer cette Constitution, qu’il soit ou non convaincu de ses bienfaits.

Ce à quoi nous assistons.

Pour ma part, la prise en compte de ce caractère irrationnel(7) du soutien au projet de Constitution m’a enjoint à un surcroît d’exigence intellectuelle : puisque les arguments d’autorité qui m’avaient jusqu’alors impressionné en faveur de la Constitution ne me paraissaient plus recevables, parasités qu’ils étaient par des calculs personnels, je ne pouvais désormais prendre appui, pour soutenir mon Oui, que sur des arguments dûment fondés en raison.

Autrement dit, cette remarque si révélatrice faite tout haut en réunion, jointe à mon côtoiement régulier des membres de cabinets ministériels (lors de nos réunions hebdomadaires), m’a donné une succincte mais suffisante connaissance du contexte qui m’a reconduit à une lecture plus attentive, davantage littérale du texte lui-même.
Pour mon travail sur les argumentaires, on ne me demandait d’ailleurs pas autre chose, et puis, n’avais-je pas été recruté aussi pour l’indépendance d’esprit censée permettre un authentique travail intellectuel ?

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Or justement, en revenant au texte, rien qu’au texte, je n’ai pu qu’être intrigué par son caractère disparate, mêlant curieusement dispositions institutionnelles et prescriptions de politique économique qui n’ont a priori rien à faire dans une Constitution. Pourquoi diable avoir brouillé le message proprement constitutionnel avec des prescriptions économiques relevant d’un autre ordre juridique, celui d’une loi-cadre ? Et quelle conclusion en tirer, sinon que cette Constitution poursuit manifestement d’autres objectifs que strictement constitutionnels ?

C’est par un tel raisonnement, aussi scrupuleusement impartial et documenté que possible, que j’ai peu à peu réalisé une chose qui a choqué le démocrate en moi, la fonction inavouée du projet de Constitution : servir de machine d’accréditation exclusive et définitive d’une idéologie politique déterminée, celle du libéralisme.
Tout se passe comme si les rédacteurs de cette Constitution, de droite comme de gauche, avaient cherché à profiter d’une nécessaire réforme des institutions européennes –que nul ne conteste dans une Europe élargie à 25 membres– pour constitutionnaliser en douce la politique économique à laquelle ils étaient unanimement favorables.

Inutile de préciser que je ne suis pas pour autant passé du libéralisme social (à vocation humaniste) qui caractérise le courant Raffarin au socialisme, même libéral, d’un Cohn-Bendit ou d’un DSK. Pour moi, le libéralisme est tout à fait défendable, au moins à moyen terme, comme orientation d’une politique économique salutaire dans une conjoncture économique donnée, mais pour autant seulement qu’on ne prétende pas l’absolutiser en principe directeur exclusif de toute autre possibilité d’orientation économique (8). Il me semble que toute la puissance de rassemblement du gaullisme résidait précisément dans cette capacité d’ouverture théorique, éminemment démocratique et pragmatique, permettant de conjuguer, selon les circonstances et les domaines, jusqu’aux extrêmes du capitalisme et de la planification.

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Ce qu’il y a d’inacceptable, dans le projet de Constitution, c’est que le libéralisme n’y est pas présent seulement comme une politique parmi d’autres possibles, mais comme l’unique principe normatif d’un processus qui s’affirme irréversible et qui se subordonne explicitement l’ensemble des objectifs déclarés, y compris d’ordre social (9).
Et, ce qui est plus inacceptable encore, c’est que toutes les précautions soient prises pour le dissimuler à une lecture honnête (10).

C’est donc la prise de conscience que cette Constitution avait pour fonction d’être un écran de fumée constitutionnalisant une idéologie déterminée, qui m’est apparu comme un grave danger pour la démocratie, et qui a converti mon « oui du cœur » en un « non de raison ».
Bien que les références et contraintes libérales courent dans toutes ses parties (I, II, III et IV), ce que l’on cherche en priorité à constitutionnaliser, dans cette Constitution c’est la partie III, qui est une reprise des traités antérieurs et qui élève de ce fait leur contenu au rang de Constitution.

Je m’explique :
L’objectif officiel de cette Constitution est d’apporter à l’Union européenne les modifications institutionnelles lui permettant de fonctionner à 25 membres.
Mais très vite, on s’aperçoit que cet objectif est dépassé, et sert en fait de prétexte pour faire passer autre chose de bien plus important (11). En effet, la Constitution consacre 60 articles aux questions proprement institutionnelles et tout le reste – si on exclut la longue et inefficiente « Charte des droits fondamentaux » (54 articles) – à la définition des politiques de l’Union, soit 325 articles sur un total de 448 ! C’est dire si cette Constitution décrit moins des institutions que des politiques, moins un contenant que des contenus.
L’objectif officieux, bien réel, est de consacrer enfin en un seul texte référent plus de 10 ans de dérive européenne vers un modèle de politique économique tendancieux, exclusivement libéral, et en cela éminemment idéologique par sa prétention à exclure toute possibilité d’alternative réelle.
On nous demande donc en réalité bien plus que notre avis sur de simples évolutions institutionnelles : on nous demande si oui ou non nous voulons constitutionnaliser ce texte là qui, à des dispositions proprement institutionnelles, ajoute des prescriptions économiques d’exclusivisme libéral.

Il ne me paraît par conséquent pas trop fort de parler de manipulation démocratique, dans la mesure où l’on use sciemment d’un subterfuge(12) (la promotion d’évolutions institutionnelles, habillées d’une rassurante rhétorique sociale et humaniste) pour faire enfin ratifier, sans avoir l’air d’y toucher, ce que l’on sait pertinemment être une doctrine économique des plus suspectes aux yeux de l’opinion publique française (en raison même de l’attachement toujours manifesté de celle-ci à l’idéal social et républicain hérité de la Révolution de 1789 et précisé dans le programme de la Résistance mis en œuvre par le Général de Gaulle dès 1945).
C’est même précisément en raison de son caractère notoirement incompatible avec la spécificité du projet social français que les dirigeants européens de droite comme de gauche, prévoyant les réticences du peuples français à sanctuariser la doctrine économique du libéralisme si on le lui demandait clairement, ont trouvé ingénieux de confier à Valéry Giscard d’Estaing, fin connaisseur des réalités françaises et fin tacticien, le soin de diriger la rédaction d’une Constitution glissant habilement ce qui pouvait être contesté au milieu d’aménagements institutionnels incontestés (13). On ne cherche rien de moins qu’à forcer la main aux peuples, et d’abord à celui d’entre eux dont la priorité sociale est sans doute la plus exigeante.

En définitive, tout indique que cette Constitution a été rédigée dans le but très précis d’impliquer la volonté populaire –et plus particulièrement française- dans la constitutionnalisation d’une certaine doctrine économique, à l’exclusion de toute autre, alors même que le propre d’une Constitution démocratique, ou même simplement authentiquement libérale, est de permettre au peuple souverain de pouvoir choisir entre différentes théories économiques.
Si, après l’adoption de cette Constitution, il n’a plus le choix qu’entre le libéralisme et le libéralisme –que l’on y soit ou non favorable, là n’est pas la question–, où est encore la liberté ?
Dès lors, la responsabilité du peuple français dans le scrutin du 29 mai est la suivante : cautionner ou non, par son suffrage, des évolutions libérales qui excluent toute possibilité de retour en arrière(14), et donc toute possibilité de faire à l’avenir d’autres choix en matière économique. Souhaitons-nous, oui ou non, nous attacher définitivement le cou à une doctrine économique, quelles que puissent être ses dérives ultérieures ou ses contre-performances ?

C’est l’ampleur de ce danger que je vais à présent m’efforcer de montrer, à travers l’exposé de 15 arguments, à ma connaissance inédits, en faveur du Non. Par mon rôle même chez Dialogue & Initiative, j’ai une certaine familiarité avec les arguments du Non, mais les points suivants n’ont, me semble-t-il, jamais encore été relevés, en dépit de leur importance, à mes yeux décisive. A quoi tient le fait qu’ils soient encore inédits ? Je ne me l’explique pas. Peut-être fallait-il d’abord toute la distance d’une position longtemps favorable au Oui pour permettre leur ébauche, puis les nombreux débats qui m'en ont précisé les contours.


NOTES

1- Le lecteur voudra bien excuser cette mention biographique, peut-être pas inutile cependant à un moment de la campagne électorale où les discrédits ad hominem et les arguments de pure autorité semblent avoir pris le pas sur la stricte considération des contenus, auxquels j’en viens immédiatement.

2- Dans le cadre de la campagne électorale, Dialogue & Initiative orchestre le soutien au projet de Constitution des ministres (Dominique Perben, Dominique Bussereau…) et parlementaires (François Baroin, Valérie Pécresse…) liés à ce club, par l’organisation de dîner-débats, la création d’un site Internet (www.lesamisduoui.com), la production d’argumentaires, de petits films humoristiques et de "cartes à gratter".

3- Composées de membres de cabinets ministériels, de membres

du Service d’Information du Gouvernement (SIG), d’un membre du Cabinet du Premier Ministre, de membres de l’état-major de Dialogue & Initiative, ainsi que des membres de la Commission Europe.

4- C’est à ce moment précis de la campagne électorale que, face à la montée du Non dans les sondages, a été décidé de se battre non plus sur le terrain des idées mais en discréditant le camp du Non (on nous a juste informés de ce changement de stratégie, décidé ailleurs). Pour cela, il s’agissait de « faire donner la charge » par des personnalités de la société civile (intellectuels, sportifs, stars en tous genres) influentes sur l’opinion publique, tout en s’autorisant à employer des méthodes contestables dans leur principe et douteuses dans leur expression, comme les attaques personnelles ou ces cartes à gratter dont Le Monde du 08 mai s’est fait l’écho. On me dira sans doute que c’est là le lot de toute campagne électorale : sans doute, mais cela n’autorise pas à s’en satisfaire et à ne pas chercher à s’en distinguer.

5- via la signature, depuis quelques dizaines d’années, des traités antérieurs qui se trouvent intégrés à la partie III. Le concert unanime des soutiens au projet de Constitution, de François Hollande à DSK, de Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy, étonnamment soudés, manifeste combien droite et gauche libérale confondues se reconnaissent également responsables d’un texte qu’ils appellent de leurs vœux depuis plus d’une dizaine d’années. Ils le revendiquent d’ailleurs explicitement.

6- Cela est même très expressément prévu par la Déclaration A 30 de l’acte final du texte « concernant la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe » (p. 186 dans l’exemplaire du Traité constitutionnel envoyé à tous les Français).

7- puisque les arguments de raison n’étaient plus écoutés

8- Ce libéralisme liberticide, qui restreint dogmatiquement la liberté de choix économiques, se condamne lui-même en se contredisant ainsi. Dès 1952 d’ailleurs, de Gaulle stigmatisait les absurdes prétentions à s’absolutiser d’un « libéralisme qui ne libère personne ».

9 - Que toute autre considération soit subordonnée à ce principe libéral, c'est en effet incontestable : pour la première fois dans un Traité européen, le principe d’une « concurrence libre et non faussée » se voit élevé au rang d’objectif de l’Union. Ce n’était jusqu’ici qu’un simple moyen (cf. le traité CE consolidé, article I-3-g). L’article I-3-2 définit la réalisation d’un « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée » comme le deuxième objectif de l’Union par ordre d’importance, auquel tous les autres se trouvent par conséquent subordonnés.

10 - Cela éclate dans plusieurs aspects : dans son caractère illisible pour le commun (ce qui présente pour avantage de contraindre le citoyen à devoir s’en remettre, pour se déterminer, aux arguments d’autorité des "experts" et des "personnalités" plutôt qu’à sa raison), dans le fait qu’à propos d’un même article on puisse juridiquement soutenir une chose et son contraire, dans le fait qu’elle proclame une « Charte des droits fondamentaux » pour aussitôt la vider de son contenu (cf. argument 4), qu’elle allie curieusement dispositions institutionnelles et politiques économiques, etc.

11- La partie constitutionnelle proprement dite (c’est-à-dire celle qui concerne la répartition des pouvoirs au sein de l’Union) ne concerne que les parties I et IV du texte. La partie III, qui reprend les politiques économiques définies dans les traités antérieurs, est subrepticement glissée pour recevoir du même coup l’approbation des citoyens : on nous assure benoîtement que puisqu’elle ne fait que reprendre les traités antérieurs, elle n’ajoute rien de nouveau…oui, à ceci près que c’est la première fois que l’on nous demande notre avis sur cette partie là des traités européens, et que, surtout, l’on nous demande d’élever au rang de Constitution ce qui n’était jusqu’alors que de simples traités internationaux. Ces politiques économiques contenues dans la partie III n’ont rien à faire dans une Constitution, sauf si justement l’on poursuit d’autres objectifs que ceux que l’on proclame.

12- Conscients des réticences de certains peuples, et du peuple français entre tous, face aux évolutions libérales de la société, on a recours à un subterfuge pour faire passer (et inscrire dans la durée, au nom de la générosité de l’idée d’une union européenne) une pilule un peu difficile à avaler.

13- Le décalage croissant entre l’exigence d’un projet social ambitieux traditionnellement porté par la France et l’idéologie libérale bruxelloise que l’on nous demande aujourd’hui de ratifier est chaque jour plus manifeste : c’est en France que la directive Bolkestein a provoqué le plus grand tollé (auquel les politiques ne se sont joints que sur le tard pour ne pas être dépassés). On peut être sûr que cette directive, actuellement « mise en sommeil » à Bruxelles, ressurgira sitôt le référendum français passé (cf.argument 18) .

14- En pratique, toute possibilité de retour en arrière est écartée puisqu’il s’agit d’une Constitution qui ne peut être modifiée que par une double unanimité : d’une part celle de tous les chefs d’Etat, d’autre part celle de tous les peuples. Outre donc l’extrême difficulté technique qu’il y aura à modifier la Constitution européenne (mais cela est relativement compréhensible si l’on souhaite lui assurer la stabilité d’une Constitution), il va sans dire que, le peuple français étant le plus socialement exigeant des peuples européens, il ne sera très vraisemblablement pas suivi par l’unanimité des peuples européens quand il exprimera des velléités de progrès social rognant l’orthodoxie libérale.


EXPOSE DES ARGUMENTS


1/ Un Non français sera d'abord, aux yeux de l'Europe comme du monde, celui de la France et en cela, il parlera de lui-même en raison du projet social français qui la caractérise et de la tradition historique où il s'inscrit, au moins depuis le programme – gaullo-communiste – issu de la Résistance et qui est exactement ce que la Constitution européenne remet en cause dans la notion de service public (16).

2/ Les partisans du Oui les premiers, de droite comme de gauche, se sont chargés de clarifier le sens du Non puisqu’ils n'ont cessé, jusqu'ici, de tenter de convaincre les Français que cette Constitution n’est pas libérale. C’est bien la reconnaissance que ce qui pose problème, c’est son libéralisme, et ce pour tout le monde (17).

3/ Le Non souverainiste est lui aussi anti-libéral (en tout cas au sens du libéralisme imposé par cette Constitution) puisque, se réclamant de la spécificité nationale française, il refuse l'impossibilité d’une politique économique dirigiste ou même seulement protectionniste, pourtant inévitable face aux excès de la mondialisation.

4/ Sur le refus français de la Constitution de l’UE, il n’y a donc pas de différence entre Non de gauche et Non de droite (au moins européenne) alors qu’il y a une divergence radicale sur le fond entre oui de droite et de gauche (même si ce n’est plus la même droite –ni sans doute la même gauche) puisque la droite approuve le libéralisme tel que le normalise la Constitution alors que la gauche ne l'accepte et ne consent à le constitutionnaliser que dans la perspective de le corriger, compléter, détourner ou contourner, c'est-à-dire qu'avec beaucoup moins de cohérence que la droite, elle soutient ardemment une Constitution...dont elle nous assure déjà qu'elle fera tout pour en neutraliser l'orientation !

5/ La gauche devrait plutôt réaliser qu'en votant Oui, les Français prendraient le risque énorme de laisser la voix du Non à une autre Nation, nécessairement moins social ou plus libéral que la France. Et ce Non signifierait alors clairement une exigence de plus de libéralisme et de moins d’Union sociale (ou de possibilité d’indépendance nationale dans le choix d’une politique sociale au sens français). Un Oui de la France ne serait donc pas seulement un Oui à cette Constitution, mais à Oui à la possibilité de son rejet en vue d'une restriction encore plus drastique du minimum résiduel de contrainte sociale qu'on peut y trouver, quoique encore toujours subordonné au meilleur fonctionnement d'une économie exclusivement libérale.

6/ Pourquoi ce dernier argument n'est-il jamais invoqué, sinon parce qu'implicitement, chacun convient de l'improbabilité d'une Constitution encore plus libérale que celle-ci ? (18)

7/ Les sociolibéraux du PS et des Verts ne cessent d’arguer de la Charte des droits fondamentaux pour y voir une protection contre toute « dérive ultralibérale » (puisqu'ils n’ont rien contre le libéralisme) alors qu’ils prétendent réduire la partie III, loi-cadre prédéterminant la politique économique et sociale de l’UE, à une simple synthèse récapitulative « pour mémoire » des traités antérieurs, sans véritable valeur constitutionnelle (même s’ils n’osent pas aller expressément jusqu’à cette contre-vérité, ils s’efforcent de la suggérer par des artifices rhétoriques). La vérité est inverse : la Charte n’a pas de valeur juridiquement contraignante puisque tout en s’inscrivant dans la Constitution, elle y inscrit en même temps la restriction explicite qu’aucun de ses articles ne saurait prévaloir, dans aucun des Etats membres, sur les pratiques institutionnelles de cet Etat (cf. II-111-2, II-112-4 et 5 et le préambule) (19). Au contraire, la partie III, elle, se présente elle-même comme absolument contraignante et elle est littéralement normative. Si elle est intégrée dans la Constitution, ce n’est donc pas comme un corps étranger (ce qui est le cas, en revanche, pour la Charte) mais bien en effet pour lier l'adoption de la Constitution à un engagement au respect des principes de l’idéologie libérale qu’elle explicite sans équivoque et des conséquences pratiques impliquées par ces principes et qu’elle détaille par le menu.

8/ Or justement parce que la partie III est plus constitutionnelle ou constitutionnalisée que la partie II, dire Non à cette Constitution, c’est en toute logique dire non à la partie III bien plus encore qu’à la Charte. Il est donc scandaleux de prétendre que le Non serait un Non qui s’appliquerait uniquement aux autres parties sans obligation de renégociation de celle-ci et que nous serions simplement reconduits au statu quo, c’est-à-dire à ce qui aurait été refusé sans conteste, au moins en France, de l’avis même des partisans du Oui, puisque J-P Raffarin a osé le sophisme que ceux qui s’opposeront à la Constitution n’obtiendraint que de garder de l'Union précisément ce qu’ils en refusent. Ce serait un déni de démocratie sans précédent, qui devrait suffire à discréditer tous ceux qui en soutiennent la possibilité (20).

9/ Le chantage est le suivant : sous peine de retour au statu quo, on demande au peuple d’ériger le fait historique (l'évolution libérale de la construction européenne) en un droit fondateur, en se liant définitivement à ce qu’il aura consacré, en lui interdisant à l’avenir de dénoncer ce qu’il aura lui-même signé. Mais le Non n’est pas un retour au statu quo : même dans l'hypothèse où il ne serait suivi d’aucun effet positif, le peuple se serait prononcé contre ce qui ne pourrait plus dès lors lui être qu’imposé, en dépit de sa volonté déclarée : en réalité, dans l'option du Non, au lieu de se lier à un contrat léonin, le peuple garde les mains libres et il s’acquiert même un droit nouveau, celui de s’opposer à son propre gouvernement et de le renverser par l’insurrection si celui-ci persistait à lui imposer l’application d’une règle ou d’un règlement contraire à son suffrage. La renégociation de la Constitution en cas de victoire du Non (et par conséquent aussi, et même prioritairement des traités antérieurs tels qu'ils sont repris dans sa partie III), si c'est un Non de la France, est donc une obligation, et juridique, et démocratique, et politique au sens le plus radical, qui est absolument incontournable.

10/ Ceux qui prétendent une renégociation de l’organisation actuelle de l’UE inenvisageable choisissent d’ores et déjà de ne pas se conformer à la volonté nationale et la trahissent déjà en affaiblissant d’avance leur propre Nation au cas où le Non l’emporterait puisqu’ils ne se voient que plaider coupables et contraints au profil bas pour toute éventuelle renégociation ultérieure. C'est exactement ce que l'on appelle une forfaiture, et ce, quelle que soit l'issue du scrutin.

11/ En ce sens, l’enjeu du referendum est bien aussi essentiellement intérieur à la France et les politiques usant de ce genre d’argument ont choisi de jouer leur carrière sur ce scrutin, consciemment ou non. Ils devront en tenir compte. Le peuple sera en droit de l’exiger et de les y contraindre.

12/ La dénonciation d’un prétendu débat « franco-français » présuppose que la France devrait penser à l’Europe en faisant abstraction de la France : elle relève d’une conception de l’Europe fondée sur le déni de la réalité nationale, en particulier française. On ne construit pas l’Union avec un ou plusieurs autres sur la détestation de soi (21).

13/ Mais le premier argument à prendre en compte par ceux qui veulent vraiment l'Europe, qu'elle soit Union de Nations ou supra-nationale, c'est que tout en limitant le pouvoir des Nations, cette Constitution est d'abord anti-européenne : elle normalise un libre-échange interne identique entre les Etats-membres à celui de l’ensemble des Etats-membres avec le reste du monde et qui tend à ouvrir les frontières de l’Europe selon un mode strictement analogue à celui selon lequel elle ouvre les frontières de ses Etats-membres à l’« intérieur » de l’Europe. La sujétion économique des Nations à la logique libérale de l'Union n'a pour fonction que d'assujettir l'Union elle-même à un libre-échange mondial dans lequel ni son défaut de cohésion, économique aussi bien que politique, son refus normatif de toute stratégie planificatrice ou monétaire ne peut que la conduire à se dissoudre à vitesse accélérée pour le seul profit de détenteurs de capitaux d'origine et de destination indifférente (22). Tout se passe comme si nous n'assistions plus à une construction de l'Europe, mais à la programmation méthodique de sa dilution.

14/ Car cette Constitution est aussi la négation même de l’Europe comme entité politique distinctive et indépendante. Elle en fait une Euramérique liée tout entière à ceux de ses Etats qui sont liés à l’OTAN –et constitutivement(23), or il était d'autant moins nécessaire de graver ce lien temporaire dans le marbre d'une Constitution qu'elle requiert l’unanimité pour toute politique de défense et de sécurité de l’Union. Cela revient donc à s’appuyer sur l’implication actuelle de certains Etats dans l’OTAN pour préciser la nécessité normative et définitive d’une subordination de l’Europe tout entière à l’OTAN, y compris dans l’hypothèse où tel ou tel de ses Etats, voire leur totalité, voudraient se dégager de l’OTAN en vue d’un engagement prioritairement européen ! Cette Constitution interdit cette possibilité en plaçant l’Europe tout entière sous l’égide de l’OTAN. C’est la négation même de l’affirmation du principe gaulliste : l’Europe sera européenne ou elle ne sera pas.

15/ Il a déjà été relevé que tous les éloges de l’Europe qui prétendent fonder le Oui à la Constitution sur un Oui à l’Europe vantent une Europe SANS constitution. Il faut aller plus loin: l’inventaire des bienfaits de l’Europe ne porte que sur les bienfaits de l’absence de Constitution, c’est-à-dire d’une Europe évolutive et ouverte, à géométrie variable et qui serait aujourd'hui plus nécessaire que jamais en vue de l'intégration "en douceur" des nouveaux entrants de l'Est. Mais c’est justement cette mobilité de l’Europe que la Constitution a pour finalité, en tout cas pour objet explicite chez ses partisans, de figer ou fixer : en particulier en limitant le principe dynamique de la construction européenne jusqu’ici, qui a été celui des coopérations renforcées, en en subordonnant l’initiative à la règle de l’unanimité, et la réalisation à la participation d'un tiers au moins des Etats membres (soit neuf).

16/ En définitive, cette Constitution n'a qu'une seule finalité, en laquelle réside en même temps son originalité absolue: c'est d'instituer, pour la première fois au monde, un contre-Droit (24). Elle le fait en élevant la concurrence au rang de principe normatif. Le Droit s'oppose à la loi du plus fort et à l'état de guerre perpétuelle où le plus fort ne cesse d'avoir à prouver qu'il l'est. Le contre-Droit de la concurrence dit au contraire : « Battez-vous, et que le plus fort gagne! ». Evidemment, pour gagner, le plus fort n'a aucun besoin d'aucun droit. En revanche, il a besoin qu'on ne lui oppose pas le Droit. Il lui faut donc un contre-Droit, un contre-feu au Droit, un droit qui s'oppose au Droit comme le contre-feu s'oppose au feu, en lui coupant l'herbe sous le pied. Le contre-Droit ne dit pas seulement que la guerre est un droit (rien d'original à cela, ni de contraire au Droit) ; il ne définit pas simplement des règles pour la pratique de la guerre (telles que celles de la Convention de Genève) ; il déclare l'exigibilité prioritaire de la guerre de tous contre tous...pour le meilleur profit de chacun (« Battez-vous, tuez vous...mais ne vous faîtes pas mal ! »).

17/ Il est temps de se demander alors pourquoi une pareille ardeur offensive du Oui le plus paradoxal, celui "de gauche".
Pourquoi un tel forcing rose-vert ? On se contente habituellement de répondre que les socio-écolo-libéraux "de gouvernement" ne peuvent pas se déjuger, ayant été partie prenante dans l'orientation libérale de l'évolution de l'Union telle que la consacre la Constitution. Mais cette réponse n'explique pas la facilité surprenante avec laquelle ils dénoncent un jour le Traité de Nice qu'ils ont soutenu la veille. Il y a lieu de craindre que la vérité soit moins reluisante: le libéralisme institutionnalisé leur permettra de se présenter comme un recours et un correctif d’autant plus indispensable (à l’échelle de la politique d’abord nationale) contre la tendance lourde au libéralisme et à ses dérives ultra-libérales dont ils ne nient même pas que la Constitution soit effectivement porteuse. Contrairement à ce qu'ils prétendent, c'est bien 2007 qui est pour eux l'enjeu –tout comme il en est dans le positionnement ultra-libéral de Sarkozy.

18/ C'est pourtant bien Sarkozy dont la stratégie est à la fois la plus directe et la plus honnête (ou cynique) aussi eu égard à l'enjeu référendaire. Et c'est ce qu'illustre a contrario l'énorme intox du Oui de gauche quand il ose présenter la Constitution comme le meilleur moyen de lutter contre des mesures telles que la directive Bolkestein: si celle-ci était contraire à la Constitution, pourquoi aurait-on besoin d’exiger que la Commission s’engage à sa « remise à plat » dès avant le vote français du 29 mai ? Pourquoi ne pas s’appuyer plutôt sur son caractère anti-constitutionnel pour en faire un argument de plus, et celui-ci incontestable, en faveur du Oui ? Pourquoi n'a-t-on pu obtenir que cette simple « remise à plat » (qui n'engage à rien de déterminé, comme en a déjà prévenu l'actuel président de la Commission) ? Et comment se fait-il que les défenseurs de cette directive (puisqu’il y en a !) se trouvent-ils tous dans le camp du Oui ? C’est au moins une illustration irréfutable de la divergence en profondeur des partisans du Oui (cf. argument 4).

19/ En réalité, les libéraux savent très bien que la directive Bolkestein découle de la partie III (articles 144-150) et les socio-libéraux s’imaginent qu’ils pourront tirer parti de ses conséquences dévastatrices pour s’imposer comme un garde-fou nécessaire à l’ultralibéralisme qui en résultera et qui, tout en les disculpant de tout recul social, permettra de présenter comme une prouesse politique la moindre atténuation de ses effets à l’échelon national. C’est le parti de la politique du pire. C'est aussi la pire des politiques


Commentaires

Sauvons au moins ce qui nous rassemble : la démocratie par J-Genereux le Vendredi 20/05/2005 à 01:25

Cher Monsieur,
 
Je vous félicite pour le courage politique et l'honneteté républicaine de votre démarche après avoir pris connaissance de votre "Témoignage d'un revenu du oui". Je viens de le publier sur mon site politique http://genereux.fr.
 
J'attire votre attention sur le fait que la plupart des arguments que vous pensez inédits (mais pas tous) sont couramment employés dans les argumentaires du non socialiste, que je défends depuis l'automne 2003, et exposés dans mon livre best seller Manuel critique du parfait européen. Je reconnais volontiers que vous leur donnez parfois une force particulière par la rigueur impressionante de votre propos et la qualité de votre expression.
 
Mon livre se termine par un appel aux libéraux, aux gaullistes et aux citoyens de droite attachés à la démocratie pour les implorer de venir au secours de ce qui nous rassemble en un seul peuple, en une communauté politique : le respect commun de la démocratie. C'est pour moi une immense satisfaction de réaliser en vous lisant que, ce faisant, je ne parlais pas dans le vide, je m'adressais bien à des Français qui existe encore et qui, tout comme le Général, se font "une certaine idée de la France".
 
Recevez ici l'expression de la gratitude d'un démocrate républicain.
 
Jacques Généreux


Re: Sauvons au moins ce qui nous rassemble : la démocratie par Yvan Lebreton le Samedi 21/05/2005 à 12:29

J'ai, moi aussi, été littéralement passionné, bouleversé par le texte de ce jeune gaulliste (semble-t-il) ! Son courage, son indépendance d'esprit, son respect du texte et de ses adversaires suscitent mon admiration et ma gratitude !

Son témoignage concernant la malhonnêteté de certains défenseurs du "oui" afflige le citoyen de base que je suis, et, curieusement, le réjouit aussi : un élément supplémentaire, de dimension morale et politique, vient conforter - si c'est encore posssible - ma résolution de voter "non" !

Pour ma part, je communique ce texte autant que je peux, j'argumente en y faisant référence. Il s'ajoute au fameux "Manuel critique du parfait européen", de Jacques Généreux le bien nommé, qui m'a si bien éclairé quant aux enjeux du referendum !

Merci encore à ces deux auteurs !

Yvan Lebreton


Re: Re: Sauvons au moins ce qui nous rassemble : la démocratie par Noy le Samedi 21/05/2005 à 13:07

Vu sur le Net,  un article d'Etienne Chouard

http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Avertissement.htm

Une raison possible de l’incompréhensible "Oui de gauche", si incohérent avec les engagements naturels de la gauche (19 mai)

Pour expliquer ce Oui de gauche apparemment complètement incohérent, j’avais trouvé comme explication qu’ayant construit eux-mêmes cette Europe-là (ils croyaient encore, à l’époque, à la possibilité d’infléchir, plus tard, la tournure libérale du texte vers plus de social), il était difficile pour eux de s’y opposer aujourd’hui sans se renier eux-mêmes.

Pour appeler à voter Non, il aurait fallu accepter d’avouer qu’ils s’étaient trompés, qu’ils avaient cru pouvoir changer le cours libéral des institutions de Maastricht sans y être parvenus. Les hommes de gauche qui appellent à voter Oui seraient, avec cette explication, ceux qui n’arrivent pas à admettre qu’ils nous ont conduits (involontairement) dans une impasse.

Thibaud m’a fait entrevoir, par une seule phrase, une autre explication que je n’avais pas du tout imaginée : la "stratégie" des ténors socialistes et verts qui soutiennent ce TCE (très concrètement néolibéral et très symboliquement social), pourrait être simplement la politique du pire : une fois ce piège néolibéral refermé, les hommes politiques de gauche pourraient enfin se présenter et paraître comme le seul recours, seul moyen, pragmatique, de revenir au pouvoir. 

Si c’était le cas, ce plan d’ensemble serait quand même assez cynique.

On est ici dans le procès d’intention car bien malin qui dira pour quelle raison intime tel ou tel acteur agit : aucune certitude, et encore moins aucune généralité, n’est donc possible, évidemment, mais je trouve ça plausible, et ça rendrait enfin compréhensible ce choix d’un Oui de gauche incompatible avec la dérégulation confirmée et renforcée par le TCE.

Pour mémoire, on peut rappeler les sept exigences pour une Constitution démocratique et sociale telles qu'elles avaient été adoptées lors du conseil national du PS du 10 octobre 2003 (http://www.parti-socialiste.fr/list_theme.php?theme=MTY0).

On y mesure point par point l’abandon intégral, le reniement profond qu’impose l’appel à voter Oui de ces gens-là.

Les socialistes exigeaient fermement (à l’époque) :

1.       Une base juridique claire pour la protection et le développement des services publics doit être posée ;

2.       Des mesures d'harmonisation de la fiscalité doivent pouvoir être adoptées à la majorité qualifiée. Ce doit être aussi le cas en matière sociale. Les critères de l'emploi et de la croissance seront introduits pour guider les interventions de la Commission et de la Banque centrale européenne. L'Europe doit être dotée d'un gouvernement économique, disposant d'un budget suffisant et d'un impôt, pouvant recourir à l'emprunt pour financer des grands travaux... ;

3.       La majorité qualifiée doit aussi devenir la règle pour la politique extérieure et de sécurité commune, l'unanimité étant l'exception ;

4.       La diversité culturelle doit être garantie. Nous souhaitons que la Constitution renforce les valeurs de la démocratie européenne et qu'elles permettent l'évolution des institutions ;

5.       Le caractère laïc de la construction européenne est un principe à nos yeux fondateur ;

6.       Les mécanismes de coopérations renforcées entre les États membres doivent être assouplis ;

7.       Les révisions futures de la Constitution doivent pouvoir être adoptées, si possible par référendum européen organisé le même jour dans toute l'Union, à la majorité qualifiée de la population et des États.

 

Les responsables politiques de gauche qui défendent le TCE ont donc abandonné absolument toutes ces belles convictions et soutiennent aujourd’hui, presque violemment, un texte qui contredit profondément tout ce qu’ils exigeaient fortement il y a un an.

Et c’est même un comble : ces lâcheurs accusent les autres leaders de gauche, ceux qui sont simplement restés fidèles à leurs engagements, d’avoir des arrière-pensées politiciennes, des vues sur le pouvoir…

Le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne manquent pas d’air. 

 

Pas étonnant que les vieux militants parlent souvent de ‘trahison’ dans les mails que je reçois tous les jours


Re: Re: Re: Sauvons au moins ce qui nous rassemble : la démocratie par Solidarite et Progres le Lundi 23/05/2005 à 15:37



NON à La Dictamolle

Faisons de l’Europe le laboratoire du futur

Par Jacques Cheminade candidat à l’élection présidentielle de 2007

Si l’on est pour une Europe fidèle au meilleur d’elle-même, à l’humanisme de sa culture et à son élan de paix par le développement mutuel de l’aprèsguerre, l’on ne peut pas aujourd’hui dire « oui » à un traité constitutionnel qui dicte une règle du jeu inverse. Nous devons dire non, car l’Europe qu’on nous propose est une marchandise frelatée.

La Constitution-piège qu’on veut nous faire avaler rend pratiquement irréversible le laisser-fairisme de ces trente dernières années, la dérive vers une loi de la jungle financière qui est la loi du plus fort.

Non à la dictamolle financière et militaire

Par-delà l’énumération de « droits fondamentaux », qui restent à l’état de belles intentions, la Constitution donne concrètement le gouvernail aux pouvoirs financiers et à leur bras armé, l’OTAN.

1. Europe-finance

a) Le système européen de banques

centrales, chapeauté par la Banque centrale européenne (BCE), a pour seul objectif la stabilité des prix. Rien sur l’emploi, rien sur le développement économique. Il s’agit d’une banque de banquiers et de fonctionnaires du Trésor, sans contrôle citoyen. Les articles III-181 et III-188 interdisent à tout gouvernement national ou institution européenne de chercher à l’influencer et elle ne peut émettre aucun crédit public.

b) La Banque européenne d’investissement dépend totalement des marchés financiers : elle ne peut émettre du crédit qu’en empruntant auprès d’eux.

c) La libre-circulation des capitaux est le principe : l’article III-156 prévoit que « les restrictions tant aux mouvements de capitaux qu’aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites » et l’article III-157 affirme que « le Parlement européen et le Conseil s’efforcent de réaliser l’objectif de libre circulation des capitaux entre Etats membres et pays tiers dans la plus large mesure possible ». Tout recul est soumis à l’unanimité du Conseil (III-157).

d) La libéralisation des services publics est la conséquence du principe précédent, en particulier la « libéralisation des banques et des assurances (…) en harmonie avec la libéralisation de la circulation des capitaux » (III-146). Conclusion : dictature de la monnaie, des marchés financiers et de ceux qui les tiennent, sans pilote politique ni contrôle citoyen.

2. Europe-défense

a) La défense européenne doit « respecter les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord » (I-41). La clause d’assistance mutuelle entre Etats membres est subordonnée « aux engagements souscrits au sein de l’OTAN qui reste pour les Etats qui en sont membres le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en oeuvre » (I-41).

b) L’objectif de la « politique de sécurité et de défense commune » est de permettre aux Etats membres de s’associer pour « effectuer des missions en dehors de l’Union » (I-41). Conclusion : il ne s’agit pas de défendre le territoire européen, mais l’ordre que protège l’OTAN, c’est-à-dire aujourd’hui un ordre fi nancier impérial.

3. Europe-impuissance

a) Dans l’ordre financier, notre soumission se produirait au moment où les fonds spéculatifs (hedge funds) sont au bord du gouffre et où les bulles de l’immobilier et les produits fi nanciers dérivés menacent d’éclater à tout moment. Autant lier son sort à un corbillard.

b) Dans l’ordre social, notre soumission se produirait au moment où, aux Etats-Unis mêmes, l’administration Bush cherche à « réformer » le système de retraites public (Social Security Trust Fund) pour le livrer à Wall Street, tout en imposant à l’extérieur sa loi à une Europe complaisante. Autant lier son sort à un télévangéliste prêt à empocher nos économies

c) Dans l’ordre militaire, notre soumission se produirait au moment où les Etats-Unis, qui dominent l’OTAN, ont adopté (depuis novembre 2003) une « option » de guerre nucléaire préventive. Autant lier son sort au docteur Folamour. Qu’y a-t-il de différent entre la logique du texte qu’on nous propose et celle des néo-conservateurs américains ? La réponse est apportée par la personnalité et les choix politiques de José Manuel Barroso, Neelie Kroes, Charles McCreevy et Peter Mandelson, les commissaires européens ultra-libéraux qui soutiennent l’administration Bush et ont soutenu sa guerre en Irak. Le sommet du tragi-comique est atteint lorsque ces mêmes individus se mettent à rouler leurs mécaniques pour dire aux Européens en général et aux Français en particulier qu’ils déclencheraient une « grave crise économique » en votant non !

 

L’Europe, laboratoire du futur

Un non à un ordre injuste, dangereux et prédateur ne suffit cependant pas. La crise mondiale n’attend pas les arrangements des diplomates et des bureaucrates. C’est pourquoi il faut agir vite. Aujourd’hui, tels les aveugles de Bruegel, la France et les pays européens avancent à tâtons vers le gouffre. Il faut ouvrir les yeux. Changer l’économie de sens, bloquer la dérive vers la guerre, faire remonter l’ascenseur social suppose des choix politiques immédiats, ouvrant un horizon et réamorçant le changement de direction.

1) Créer 20 millions d’emplois qualifiés par un vaste programme d’investissements lourds – de l’ordre de 1000 milliards d’euros par an, c’est-à-dire 10 % du produit intérieur brut européen – au sein de l’Union et au-delà, en Eurasie, en Afrique et dans l’Asie du Sud-Ouest. C’est une politique de pont terrestre eurasiatique, joignant l’Europe occidentale à la Chine et à l’Inde, avec la Russie et la Turquie pour traits d’union. Pour chaque grand projet, un responsable européen de la conception, du financement, de l’exécution et du suivi des travaux devra être désigné, avec les délégations de souveraineté lui permettant de remplir sa tâche. Il s’agit de transmettre de la souveraineté pour faire des choses ensemble, non pour limiter par dogme le pouvoir des Etats-nations.

2) Assurer l’avenir par un grand programme européen de recherche, y consacrant 5 % du produit intérieur brut de chaque pays, avec un fonds de démarrage de 200 milliards d’euros.

3) Enterrer à tout jamais le « stupide » pacte de stabilité et le remplacer par un pacte de développement fondé sur l’émission de crédits publics en faveur de grands travaux, en utilisant le pouvoir de l’Etat pour éliminer toute spéculation financière.

4) Annuler les articles 104 et 109 du traité de Maastricht, la loi française n°93 du 31 décembre 1993, votée en application de l’article 104 ci-dessus, et toutes les dispositions nationales qui interdisent à l’Etat d’émettre le nécessaire crédit public.

5) Imposer une politique d’harmonisation par le haut des conditions sociales et de santé publique et une harmonisation fiscale.

6) Remplacer pour cela le système européen de banques centrales par une association des banques nationales de chaque Etat, rassemblant leurs ressources pour servir le projet commun, sous contrôle citoyen. Ce point est essentiel pour que les Etats puissent arracher leur pouvoir aux cartels financiers.

7) Promouvoir un nouveau Bretton Woods qui, en établissant un système monétaire international de parités fixes entre monnaies, permette une stabilité dans les anticipations, exclue les bulles spéculatives et mette fin au système de changes flottants du FMI.

8) Etablir une défense européenne pour défendre ce projet de développement mutuel et le territoire européen, non pour promouvoir un ordre financier impérial.

 

Urgence

L’histoire se décide ici et maintenant.

Car si la France et l’Europe doivent avoir une vocation universelle, par-delà l’impôt et l’emprunt dont les sources sont en grande partie taries, elles doivent pouvoir émettre des crédits à long terme et à faibles taux d’intérêt en faveur de grands travaux, permettant un développement Ouest-Est et Nord-Sud : désenclaver l’Europe de l’Est, nous lier par des échanges fructueux avec l’Asie, assurer la paix en Asie du Sud-Ouest et jeter les bases d’une justice sociale associée au progrès technologique.

Une économie où la monnaie se met au service de l’homme est la base pour que l’Europe existe, la base autour de laquelle nous devons nous organiser. Non pas contre l’Amérique, mais contre les Etats-Unis impériaux dont rêvent George Bush et les néo-conservateurs américains et pour un partenariat avec l’Amérique généreuse, conforme aux rêves des pères fondateurs, de Lincoln et de Roosevelt, qui est aujourd’hui celle de Lyndon LaRouche.

Déjà, des parlementaires italiens ont appelé à ce nouveau Bretton Woods – un ordre financier et monétaire pour la cause de l’homme, tel que nous l’avons défini – qui devrait devenir la grande cause de l’Europe. Déjà, des sociaux-démocrates allemands prennent partie contre les fonds spéculatifs. Franz Müntefering, le président du SPD, proche du chancelier Schröder, remet en cause « les stratégies visant à augmenter les profits sur un plan international, qui mettent en danger notre démocratie ». Déjà, Nestor Kirchner, le chef d’Etat argentin, de passage à Berlin, a condamné l’ordre du FMI et a lancé qu’il y a une vie après lui. Déjà, un Laurent Fabius opère une conversion estimable, pour laquelle il se fait traîner dans la boue par ceux qui devraient être ses amis. Phraséologie de gauche, soupçons de lepénisation, discours électoralistes, disent les esprits chagrins et les médias sous influence. Même si c’était vrai, les mots restent et le défi est jeté. Car avec le débat sur la « Constitution européenne », un peuple que les élites croyaient découragé, désorienté et domestiqué revient sur le devant de la scène, avide de comprendre et de penser. C’est à ce peuple que nous nous adressons ici, et en particulier aux militants de ce peuple, à tous ceux qui ont pris des responsabilités politiques, à tous ceux qui veulent enfin changer la vie.

Oui, les partisans du non sont divisés et portés par des arrières pensées très diverses. Oui, une renégociation « progressiste », comme nous le voulons, sera très difficile après le non. Oui, un tel changement serait même impossible si nous prenions les dirigeants et les institutions tels qu’ils sont. Cependant, à la gravité de la crise répond une prise de conscience des peuples. C’est en cela que la situation devient révolutionnaire. C’est pour nous tous une heure de vérité. La victoire du non ne sera pas un moment de soulagement, mais le commencement d’un combat décisif. Nous devons refonder l’Europe. C’est notre heure. Votre heure. Rien n’est permanent que le changement.


 

http://solidariteetprogres.org

 

 


Re: Re: Re: Sauvons au moins ce qui nous rassemble : la démocratie par Bernard Leprêtre le Samedi 28/05/2005 à 09:38

L'hypothèse de la "politique du pire" n'est pas démentie en tous cas par les propos de François Hollande lui-même.
Dans le Monde du 27 mai (p. 8) il dit : "Si le oui l'emporte (...) la France pourra être exigeante dans les discussions qui s'ouvriront sur le budget européen, les services publics ou l'harmonisation sociale. Et quand je dis la France, je pense aux responsables qui seront en place en 2007, quand le traité entrera en vigueur."
On devine sans trop de mal quel peut être le fil de ce raisonnement: quand le traité entrera en vigueur, et vues les réticences qu'il suscite en France (jusque dans les rangs de certains partisans du Oui) , les socialistes apparaîtraient comme les plus susceptibles de faire rempart contre les aspects les plus contestés d'un traité qu'ils auront pourtant appeler à approuver, ce qui les aiderait à revenir aux affaires.
Si c'est le calcul de M. Hollande il est passablement cynique et sans doute bien naïf.
Je lui annonce en tous cas dès maintenant que pour ma part je ne compterai pas sur lui pour être "exigeant".


de la convergence entre le non socialiste et le "gaullo-communisme" par Guillaume (Strasbourg) le Dimanche 22/05/2005 à 10:25

Monsieur,

Vous avez sans doute fait de brillantes études, mais je pense que votre réflexsion manque de cohérence. Je ne voudrais pas trop m'étendre sur les détails biographiques que vous amenés, mais accepter de travailler pour le club "Dialogue et initiative" de Raffarin en espérant y accomplir un travail intellectuel ne me paraît pas très raisonnable... Je note par ailleurs avec intérêt que votre déception vis-à-vis du oui de droite et plus précisément de sa faiblesse intellectuelle que vous espériez espérait bien pallier, vousconduit finalement à une critique radicale des fondements intellectuels du oui de gauche. C'est ce qui s'appelle avoir de la suite dans les idées. Le manque de cohérence, que je vais m'attacher à démontrer, n'empêche pas l'obstination.
Si votre analyse manque de clarté et de cohérence, en revanche, votre profession de foi est parfaitement claire : il s'agit de l'expression du "national-républicanisme" de nombreux partisans du non, des souverainistes de droite (Pasqua, Dupont-Aignan) comme de gauche (Chevènement) mais aussi des communistes, qui ont toujours été hostiles à la construction européenne. Le "gaullo-communisme" est une forme de synthèse du souverainisme national, celui-là même qui s'est unanimement opposé, par exemple, à la Communauté européenne de défense en 1954, alors qu'elle pouvait être le prélude à une Europe politique. Pour s'intégrer, l'Europe devait dès lors trouver un autre levier : ce fut le Marché commun.
On peut admirer votre soudaine lucidité quant au processus de la construction européenne. L'Europe est libérale ! Quelle grande découverte ! Mais de quel libéralisme parle-t-on exactement ? Le projet européen est, par essence, libéral dans sa visée, en ce sens qu'il entend construire un espace sans frontières où les personnes (et notamment les travailleurs), les services, les marchandises et les capitaux circulent et s'établissent librement, comme ils le font à l'intérieur de l'espace national. Ces principes de libre circulation et de liberté d'établissement sont au coeur du projet européen depuis l'origine, c'est-à-dire depuis le Traité de Rome de 1957. Dire non à cet euro-libéralisme -là, c'est dire non à l'Europe. C'est ainsi qu'il faut comprendre le qualificatif d'anti-européen lancé à l'adresse de certains partisans du non. Quand un Mélenchon affirme que la directive Bolkestein est "inscrite" dans le TCE, que critique-t-il en réalité ? Le principe de libre circulation des services ou bien les modalités de cette libéralisation, qui relèvent du domaine de la loi ? Le principe du pays d'origine, choisi comme modalité dans la directive Bolkestein, n'est pas inscrit dans les traités européens. S'agissant de la liberté d'établissement des activités non salariées et de la constitution et de la gestion des entreprises, il est même contraire à l'article III-137 du TCE qui prévoit l'application du droit de l'État d'établissement. Par ailleurs, brandir l'article III-148 ("Les États membres s'efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne adoptée en application de l'article III-147, paragraphe 1, si leur situation économique générale et la situation du secteur intéressé le leur permettent"), comme le font les partisans du non n'est pas pertinent car les États ont toujours la possibilité d'aller au-delà de ce que prévoit le droit européen.
Mais il y a d'autres formes de "libéralisme", contenues dans au moins trois types de règle :
- la politique de concurrence
- la politique commerciale
- les politiques monétaire et budgétaire
A bien des égards, on trouve dans ces politiques l'inspiration de l'ordolibéralisme allemand, c'est-à-dire le "gouvernement par les règles" : action de la puissance publique pour maintenir une concurrence non faussée (comparable à la législation "anti-trust" américaine), indépendance de la Banque centrale, critères contraignant pour la politique budgétaire.
Je partage les critiques sur la rigidité des règles en matière d'aides d'État aux entreprises ou aux productions (cf. l'article de Frédéric Lordon), qui ne trouvent leur justification que dans l'idée que les États ne doivent pas fausser la concurrence dans le cadre du marché intérieur, en se faisant la "guerre" entre eux. La CJCE au début des années 90 a sérieusement écorné la doctrine de la Commission en la matière et l'a poussé à assouplir se politique (règlements d'exemption, etc.). En revanche, le raisonnement que vous utilisez concernant ce qu'il appelle le "contre-droit" (je le cite : "Évidemment, pour gagner, le plus fort n'a aucun besoin d'aucun droit. En revanche, il a besoin qu'on ne lui oppose pas le Droit. Il lui faut donc un contre-Droit") est totalement fantaisiste et révèle l'ignorance de l'auteur quant au droit communautaire. Le droit de la concurrence est extrêmement rigide dans son application aux entreprises (ententes, abus de position dominantes....). Ce droit européen de la concurrence s'oppose justement à la loi du plus fort (comme le montre l'affaire Microsoft en cours !). L'application des règles de concurrence aux services d'intérêt économique général (SIEG), c'est-à-dire aux services publics marchands (en gros les entreprises fonctionnant en réseau : énergie, transports, poste, communications), qui ne sont qu'une partie de ce que la Commission, dans son fameux Livre blanc, appelle les services d'intérêt général (qui recouvre nos services publics) peut aussi être critiquée. Elles ont trouvé leur pleine traduction seulement à partir des années 1990. Elles étaient jusque-là en "veilleuse". Je ne partage pas l'enthousiasme de nombreux socialistes quant à la disparition des monopoles publics dans ces secteurs et leur focalisation sur la seule existence de "missions de service public". Mais il faut bien comprendre une chose : les entreprises publiques françaises concernées (le cas le plus évident étant EDF) ont commencé bien avant la libéralisation de ce secteur, à mener des politiques de croissance mondiale en allant jouer au "monopoly" en Europe et dans le reste du monde. Ainsi, avec l'aval des gouvernements, elles ont voulu tirer parti de leur monopole sur le territoire national pour entrer en concurrence avec d'autres prestataires, notamment en Europe. Cette situation n'était pas, c'est le moins que l'on puisse dire, très saine du point de vue européen. La politique menée en Europe et en France a mené à la constitution de filiales ayant des objets différents (commercialisation de services ou gestion des infrastructures, comme RFF pour la SNCF). Tant que les "monopoles naturels" (infrastructures de réseau nécéssitant des investissements lourds et un entretien sur le long terme) restent gérés par des entreprises publiques, correctement financées par l'Etat, il est permis de penser que les missions de service public seront maintenues dans des conditions satisfaisantes pour l'usager (accessibilité, coût abordable). Que dit le TCE au sujet des SIEG ? Il faut rappeler que le droit européen ne préjuge pas de la propriété du capital (cf. article III-425 du TCE, qui reprend l'article 295 du traité instituant la CE). Rien juridiquement n'oblige un État à privatiser ses entreprises publiques. Ensuite, l'article III-166 (reprenant l'article 86 du Traité instituant la CE) dispose que "les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie". De plus, les nouvelles dispositions introduites par le TCE aujourd'hui (II-96, III-122) consacre non seulement un droit fondamental d'accès aux SIEG "tel qu'il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément à la Constitution, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l'Union", mais aussi et surtout offre une base juridique à l'Union européenne pour légiférer sur les garanties économiques et financières accordées aux SIEG.
La politique commerciale (qui devient une compétence exclusive de l'Union) est quant à elle empreinte de libre-échangisme, même s'il est toujours possible d'adopter au niveau de l'Union un tarif extérieur commun (voir III-151 1.), ainsi que des mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions (III-315).
S'agissant des politiques monétaire et budgétaire, la critique de l'indépendance de la BCE, confirmée par le TCE (indépendance qui date de Maastricht et qui constituait une concession faite aux Allemands) est peut-être pertinente mais elle doit aussi prendre en compte l'absence, plus significative encore, de "policy-mix", c'est - à-dire de coordination et de convergence entre les aspects monétaires, budgétaires et macroéconomiques au sens large (ainsi que les politiques sociales, ce qui sera rendu possible avec l'article III-117). Jusqu'à présent, il n'y avait quasiment pas de pouvoir politique en face du pouvoir monétaire incarné par la BCE. Les dispositions propres à l'Eurogroupe, inclues pour la première fois dans le traité, sont un progrès dans l'élaboration d'une véritable politique économique européenne. J'ajoute que si le pacte de stabilité est en effet pour l'instant relativement contraignant (déficit maximum égal 3 % du PIB, soit 20 % du budget de la France), ce qui contraint encore plus les États et notamment la France, c'est un service de la dette qui constitue le 2ème poste dans les dépenses civiles de l'État !!!
L'un des vos arguments est d'affirmer que l'on "constitutionnalise" un modèle économique, autrement dit que le texte soumis à la ratification des États membres aurait une valeur et une force juridiques supérieures à celles qu'ont déjà les traités européens actuels (traité instituant la Communauté européenne et traité sur l'Union européenne, tous deux modifiés par le Traité de Nice, dont je rappelle ici qu'il a une durée illimitée - cf. son article 11. Or de nombreux partisans du non continuent d'affirmer qu'il ne durera que jusqu'en 2009. Cela ne sera vrai que si le TCE entre en vigueur !!!!). Or, d'une certaine manière, l'Europe n'a pas encore fait véritablement de « saut constitutionnel ». En effet, une constitution peut se définir, matériellement, comme la loi fondamentale qui définit l'organisation des pouvoirs publics et édicte des droits fondamentaux et, formellement, comme devant être librement choisie par le peuple souverain. Or, si le « Traité établissant une constitution pour l'Europe » comprend des dispositions relatives à l'organisation institutionnelle de l'Union et inclut une charte des droits fondamentaux, répondant ainsi à la définition matérielle d'une constitution, en revanche, il n'est pas adopté directement par une communauté des citoyens européens exerçant un pouvoir constituant, mais demeure un traité international, négocié, signé et ratifié par les 25 États membres de l'Union. La Cour européenne de Justice a néanmoins joué un rôle prépondérant dans la « constitutionnalisation » des traités européens (CJCE, 23 avril 1986, Parti écologiste Les Verts : « la Communauté économique européenne est une Communauté de droit en ce que ni les États membres ni ses institutions n'échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu'est le Traité »), sans nier pour autant leur essence originellement conventionnelle. Le « traité établissant une constitution pour l'Europe » ne fait que confirmer cette interprétation prétorienne. Son sens et sa portée ne sont pas modifiés par rapport à ceux des traités actuels.
La question qu'il faudrait se poser est la suivante : faut-il s'étonner que des règles économiques, quelles qu'elles soient, figurent avec autant de précision dans un traité international, fût-il présenté comme une "Constitution" ? Non, car dans la logique inter étatique qui a présidé à son adoption, les États, précisément, ont besoin de s'entourer du maximum de garanties et donc de précisions quant aux actions qui seront menées en commun. Il ne s'agit pas, comme dans le cadre constitutionnel de l'État, au sens classique, de définir seulement l'organisation des pouvoirs publics, mais de se mettre d'accord sur des transferts de souveraineté et sur la manière dont les compétences de l'entité supranationale vont être gérées compte tenu des objectifs visés. Par nature, les États, jaloux de leur souveraineté, veillent à ce que les autres parties respectent comme eux des règles établies avec le plus grand soin. Les partisans du non évoquent ainsi la « constitutionnalisation » des politiques de l'Union, afin de souligner leur caractère intangible. Or celles-ci, décrites dans la partie III du traité, n'auront pas plus de valeur ou de force juridique qu'elles n'en ont dans les traités actuels.
Selon vous, derrière le "social", il y a le "national", comme l'écrit d'ailleurs un partisan du oui "de gauche" (François Dubet). On ne saurait mieux dire ici (cette grille d'analyse ne me paraît pas forcément pertinente pour tous les partisans déclarés du non). Au fond, la Nation représente pourvous le seul cadre valable d'une politique démocratique et sociale (au risque, sinon, je vous cite, "de se détester soi-même"). L'Europe, telle qu'elle s'institutionnalise, ne serait que le vecteur de sa propre dilution et, du même coup, de celle de la Nation, et par voie de conséquence, de la disparition de la démocratie. La "passion supranationaliste" serait une "disposition psychologique dangereuse" et "devrait rappeler à certains de très mauvais souvenirs". En la matière, c'est plutôt le nationalisme qui devrait rappeler de "très mauvais souvenirs", comme le rappelle d'ailleurs le préambule du TCE (qui évoque des "expériences douloureuses"). "Le nationalisme, c'est la guerre", comme nous le disait à sa façon F. Mitterrand. Or, précisément, au lieu d'une dilution du politique, le TCE organise pour la première fois un pouvoir politique européen stable et légitime (présidence du Conseil européen ;présidence de l'Eurogroupe ; ministre européen des Affaires étrangères ; président de la Commission élu par le Parlement, qui exercera conjointement avec le Conseil des ministres - chambre des Etats à l'image du Bundesrat allemand - les fonctions législative et budgétaire). Pour la première fois, l'Europe se donne des institutions capables d'affirmer, dans le monde et sur l'ensemble de l'espace européen, un droit et un modèle de société communs. La délimitation des compétences de l'Union, l'attribution de la personnalité juridique à celle-ci et l'extension de la majorité qualifiée (au détriment de l'unanimité si paralysante) contribuent nettement à cette évolution majeure. Il est à noter qu'en matière de défense, l'intégration est également plus pronocée puisqu'est introduite pour la première fois une clause de défense mutuelle (art. I-41 §7), même si elle est moins précise et contraignante que dans le cadre d'autres organisations militaires internationales (Il faut ajouter à cela une clause de solidarité en cas d'attaque terroriste ou de catastrophe : art. I-43).
Dans l'argumentation qui nous est proposée ici, et c'est ce qui me fait dire que vous n'avez pas l'esprit très clair, c'est votre rapport troublé  à l'identité nationale. D'un côté, vous dîtes vouloir l'Europe, mais pas au nom du sacrifice de la Nation française, c'est-à-dire de sa souveraineté. Je vous cite : "La dénonciation d'un prétendu débat « franco-français » présuppose que la France devrait penser à l'Europe en faisant abstraction de la France : elle relève d'une conception de l'Europe fondée sur le déni de la réalité nationale, en particulier française." Or la construction européenne ne se fonde pas sur le déni de la réalité nationale, comme vous le dîtes. Le traité constitutionnel offre au contraire un équilibre entre Nation et Europe, par exemple en donnant une place non négligeable aux Parlements nationaux dans le processus décisionnel (y compris pour la révision du traité). Si l'harmonisation fiscale et sociale n'est pas inscrite dans le traité, c'est précisément parce que les États n'ont pas souhaité se dessaisir de leur souveraineté dans ce domaine. Le "en particulier française" à la fin de la phrase citée, est très révélateur à mon sens. Vous prétendez que la construction européenne ne peut se fonder sur un déni de l'identité nationale française mais vous refusez par ailleurs l'idée que l'Europe puisse respecter l'identité des autres Etats-nations, à commencer par leurs obligations découlant de leur adhésion à l'OTAN (je rappelle que la France en est un membre fondateur). N'y-a-t-il pas là quelque contradiction ? On retrouve cette même contradiction dans votre appréciation de la Charte des droits fondamentaux. Je ne peux pas laisser dire que la Charte des droits fondamentaux n'a pas de valeur juridique contraignante. Elle s'applique au droit adopté par les institutions de l'Union et par les États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre ce droit. Compte tenu de la part croissante du droit d'origine communautaire dans le droit national, on mesure l'importance de la Charte, dont R. Badinter a souligné à quel point elle pouvait induire une dynamique jurisprudentielle nouvelle de la part de la Cour de justice. Il faut ajouter à cela que le TCE prévoit (art. I-9) que l'Union adhérera à la Convention européenne des droits de l'Homme. Un véritable système européen des droits de l'Homme se met en place. Dans quel endroit du monde trouve-t-on aujourd'hui un tel degré de protection des droits fondamentaux ? Vous estimez que c'est parce que les États n'ont pas à respecter la Charte pour leurs propres dispositions (ils appliquent dès lors leurs propres règles en matière de droits fondamentaux), que celle-ci n'a pas de valeur juridique contraignante. Or, de deux choses l'une, ou bien le traité constitutionnel est un déni pur et simple de l'identité nationale, et dans ce cas la Charte aurait dû s'appliquer aux États même lorsqu'ils mettent en oeuvre leur propre droit interne, ou bien il aménage, comme je le crois, un équilibre entre identité nationale et intégration européenne (ce que confirme la lecture de l'article I-5.). En tant que jeune "padawan" de l'Europe, vous n'avez donc pas l'esprit très "clair" : on ne peut reprocher à l'Europe de nier l'identité nationale pour ensuite regretter le fait qu'elle aménage des espaces de souveraineté.

Quelques mots en guise de conclusion...

La question que je me pose aujourd'hui est celle-ci : l'Europe peut-être elle être une véritable "puissance publique" ? Si le TCE donne des institutions à ce corps politique non constitué qu'est l'Europe, en revanche, l'Union n'a pas encore les moyens de ses ambitions. Tant que les Etats ne lui accorderont qu'un budget équivalent à un 1 % du PIB (alors que la politique régionale et les fonds structurels, mais aussi la recherche, les réseaux transeuropéens ou l'industrie, réclament des moyens d'une toute autre ampleur), il n'est pas douteux que l'Union ne sera pas une véritable puissance publique. Le TCE offre un cadre, qui précise d'ailleurs que "l'Union poursuit ses objectifs par des moyens appropriés" (art. I-3). Aux Etats de décider s'ils veulent donner réellement à l'Union les moyens d'agir, notamment en faveur de la "cohésion sociale et territoriale", qui est l'un des objectifs de l'Union (art. I-3). Au-delà de l'adoption ou non du TCE, c'est à mon sens l'autre enjeu majeur pour l'avenir de la construction européenne. Je ne crois pas qu'un "non" de la France nous permettra d'espérer des temps meilleurs sur ce plan.
Je ne peux certes pas me prévaloir de votre "lucidité". Je peux me tromper mais je ne crois pas avoir dit trop d'âneries. Même si j'émets des réserves ovoire de fortes critiques sur telle ou telle disposition du traité (par exemple : III-131 ou encore certaines disposittions laissant apparaître la croyance dans les vertus autorégulatrices du marché), il me semble que globalement, il s'agit d'un progrès pour l'Europe et, non, comme certains l'affirment, d'une régression. Le Traité est-il pour autant à la hauteur des enjeux (chômage de masse, misère, inégalités, dégradation de l'environnement) ? Il offre en tout cas un cadre plus satisfaisant pour mener des politiques à l'échelle de l'Union. Il est aussi le reflet de la réalité politique européenne actuelle. Je crois que c'est en dernier ressort aux citoyens, aux partis, aux syndicats, aux associations de mener le combat, dans le cadre d'une Europe plus démocratique.


Et Newton dans tout ça ? par Huitreagile le Dimanche 22/05/2005 à 10:53

L'argumentaire de Monsieur Hosseraye est intéressant. Cependant, j'ai du mal à croire que "la politique du pire" qu'il voit dans le "Oui de gauche" soit stratégique. Tactique peut-être. Enfin, je l'espère.

D'un philosophe comme Monsieur Hosseraye j'aurais attendu plus encore. Fukuyama a proclamé la fin de l'histoire. La fin proclamée de la classe ouvrière, à laquelle on a substitué la classe des employés pour reconnaître en 2002 qu'elle existait peut-être encore, est-ce de la même nature ?

A quand remonte la décision des économistes libéraux de subjuguer les valeurs de solidarité, de lutte des classes, de l'état ?

Quand précisément les partis socio-démocrates ont-ils pris la décision de devenir des socio-libéraux ?

Quelle conjonction est-il opéré entre les libertaires version Dany Cohn Bendit et les libéraux dans leur aspiration à détruire l'état ?

Quel effet de gravitation vers la "droite", mécanique et non pas réfléchie (au sens où cela suppose un possible ressaisissement), est du à la disparition des blocs de l'est ? Comment cela s'articule-t-il à la stratégie de lutte contre le P.C. en France ? Du point de vue de la "gauche" et du point de vue de la "droite" ?

Bref, comment aujourd'hui nous voyons un simple effet de la "psychopolémologie" (néologisme titre d'un livre paru il y a une trentaine d'année et dont j'ai oublié l'auteur), autrement dit d'une lutte idéologique qui s'attaque aux valeurs, au vocabulaire et à la capacité de penser.

Allez Montesquieu, à ta plume. Sinon soit Montaigne ou Sade ou Pierre Dac, mais parle nous en philosophe. De toute façon, d'une façon absolument partisane et basse, je suis ravi de lire un des propagandistes du "Oui" m'expliquer pourquoi il faut voter "Non". Ne boudons pas notre plaisir quand même !


Re: Le pari de Pascal par Yannick le Dimanche 22/05/2005 à 12:31

Monsieur Huitreagile,

Je ne souhait ni "détruire l'Etat" ni "subjuguer les classes sociales". Je m'intéresse assez peu, par ailleurs, aux états d'ame de quelqu'un (l'intervenant précédent) qui se fait embaucher pour une propagande, en est mécontent, change de bord et trouve bon de le confier à tout le monde. J'ai appris, entre autres, de l'oeuvre et de l'action de Paul Ricoeur que l'authenticité réclame plus de discrétion.

Je sais simplement que je vais voter dimanche prochain, et que je dois peser le pour et le contre. Je trouve cette Constitution bien longue - pas plus il est vrai que la Constitution de l'Inde (440 articles, je crois, pour une vaste communauté pluriethnique et plurilinguistique). Je sais que les vraies nouveautés sont dans les parties I et II, sur lesquelles m^me MM. Choir et Généreux sont contraints de se montrer discrets, tant elles marquent un progrès incontestable.

J'ai la conviction, comme passionné d'Histoire, que si imparfaite soit-elle, comme toute chose humaine, l'avancée laborieuse et cahotante de l'Europe depuis cinquante ans est quelque chose d'unique dans ladite Histoire. J'ai profondément regretté, j'ai m^me été scandalisé que nous ne sachions pas feter l'an dernier l'arrivée des dix nouveaux pays rescapés du joug totalitaire. Je me rappelle les progrès fantastiques du Portugal, de la Grèce, de l'Espagne entrés en Europe, sans compter l'Irlande. Je vois que le titre I du texte va arrimer les nouveaux entrants au continent de la démocratie (qu'on cesse de nous rebattre les oreilles d'un usage confus et trompeur du mot "libéralisme" !). Je sens, comme beaucoup, que dans ce progrès, le texte qui nous est proposé marque une étape importante. Je n'ai pas envie qu'un succès du Non, au motif de "renégocier" (qui, avec qui, en Europe :? Sortons de l'Hexagone...) un Traité "idéal" retarde ce processus de dix ans peut-etre. Tout le monde sait ou devrait savoir que les dispositions de I et de II ont été arrachées de haute lutte, lors de la Convention, à plusieurs de nos partenaires. Qui peut croire que les plus réticents ne sauteraient pas sur l'occasion fournie par un Non français ?

Enfin, je ne mets nullement en cause la sincérité des convictions pro-européennes affichées par des partisans du "Non de gauche". Mais quand je vois les gros bataillons et les principaux leaders du Non, les trotskystes, les communistes (est-il si loin, le temps des "revanchards de Bonn" et de l'exaltation d'une "autre Europe", qui celle-là n'était pas virtuelle ?), plus Le Pen, De Villiers, qui vont apporter une bonne moitié des voix, j'ai le droit de m'interroger sur leur capacité renégociatrice, séparément ou en commun.

Vraiment, de quelque coté que je me tourne, et je le dis sans mépris aucun envers ceux qui pensent voter Non - dont certains sont des amis ou des parents -, le Non, tout compte fait, et en dépit des meilleures intentions (parfois), serait un Non de régression.

Je fais mes comptes : si c'est Non, c'est Nice qui s'applique. Je perds la démocratie (I) et le social (II). Dans III, je garde les traités de marché, et je perds la clause sociale et les dispositions positives sur les services publics.

Pas besoin, il me semble, de relire le pari de Pascal pour faire son choix.


Ce sera NON par alainM le Lundi 23/05/2005 à 10:18

De la part d'un électeur de base sympathisant socialiste: merci à Thibaud de La Hosseraye pour son tour d'horizon des arguments du Non, qui complète l'argumentaire de Jacques Généreux. De plus, son témoignage sur le cynisme de certains politiciens de droite comme de gauche me confirme dans mon choix de voter NON le 29 mai.


Feu l'union europeenne? par margolin le Mardi 24/05/2005 à 23:51

  Même si le oui devait de justesse l'emporter, l'immense étendue en France des réactions négatives, effrayées, indignées face à un traité constitutionnel pourtant plutôt timide, et clairement dans la continuité des traités antérieurs, serait déjà le signe d'une profonde désaffection face à ce qui fut au coeur de sa politique nationale durant près d'un demi-siècle. Le risque d'un tournant fondamental dans l'aventure de la construction européenne est donc extrêmement élevé, et c'est d'ailleurs ce que préconisent de plus en plus ouvertement la plupart des partisans du non, qui reconnaissent souvent que l'assaut contre le TCE est surtout un moyen d'ouvrir la brêche: l'objectif est la mise à bas de l'édifice patiemment construit depuis 1957.
 Presque tous se récrient certes: nous sommes Européens, nous voulons simplement une "autre Europe". Cela a à peu près autant de valeur pratique que se dire "pour la paix, contre la guerre" ou "pour la prospérité, contre la misère". Le seul projet alternatif un tant soit peu élaboré, celui mis en circulation par ATTAC, ne résout aucunement le dilemme fondamental des "non de gauche": obtenir la garantie d'une sauvegarde des systèmes sociaux nationaux, et simultanément accorder la prééminence au Parlement européen sur les représentants des Etats membres. Par ailleurs les principes et politiques préconisés sont si "progressistes" qu'ils ne pourraient évidemment pas servir de base à un nouveau compromis, aucun des 25 Etats -pas même la France- n'étant disposé, dans un avenir prévisible, à les reprendre à son compte. L'"autre Europe" est un effet de discours, un instrument de propagande, ce n'est pas un projet viable. Passons sur son improbable compatibilité -même au niveau du discours- avec le non souverainiste et/ou de droite, largement majoritaire à l'échelle européenne dans le camp des opposants au TCE.
 Le plus vraisemblable, à ce jour, est que le traité constitutionnel, manifestement trop compliqué à faire passer, soit purement et simplement abandonné - comme cet autre projet d'initiative française, la Communauté Européenne de Défense (CED), il y a exactement cinquante ans: on n'y est jamais revenu. Mais, au-delà, ce qui pourrait se propager rapidement parmi les promoteurs mêmes de la construction communautaire, c'est le sentiment délétère de l'"à quoi bon se fatiguer à négocier interminablement des avancées européennes, si tant de citoyens n'en veulent pas, et de plus nous en tiennent électoralement rigueur?". Le TCE n'a pas été rédigé en cinq minutes sur un coin de table par une faction de comploteurs vendus à Bush et au Grand Capital: il a absorbé quatre ans d'énergie de certains des meilleurs parmi les Européens convaincus. Croit-on qu'ils se remettent à la tâche sans désemparer? Pourrait-on si aisément les remplacer - et, surtout, par qui?
 Avant même la décolonisation, avant même la chute du communisme en Europe, les opinions concernées, et leurs dirigeants, s'étaient insensiblement faits à l'idée que le jeu n'en valait plus la chandelle, que le rapport coûts/bénéfices de l'empire colonial ou du système communiste devenait par trop défavorable. On avait cessé d'y croire, on n'en attendait plus rien - et ils ont disparu, très vite, avec étonnamment peu de résistances. L'histoire est faite de ce genre de dynamiques, positives ou négatives, auxquelles il est très difficile de résister une fois qu'elles sont enclenchées.
 C'est une semblable dynamique de désagrégation qui pourrait être en train de se mettre en place. La seule question qui se poserait alors serait de savoir si elle s'arrêterait aux frontières de la France, ou si -plus probablement- elle ferait tomber l'un après l'autre, et rapidement, les 25 dominos européens. Dans le premier cas, l'UE, à peu près telle que nous la connaissons, survivrait à la crise, au prix d'une exclusion de fait de la France, pour une longue période. Dans le second, quelque chose subsisterait sans doute du long effort européen. Le minimum: le marché commun, une zone de paix et de coopérations sectorielles, par la concertation des élites politiques et économiques. Bref, la "post-UE" s'alignerait sur ce que sont généralement les nombreuses autres associations régionales d'Etats - par exemple l'ASEAN (Association des Nations de l'Asie du Sud-Est) ou le Mercosur sud-américain. Toute supranationalité substantielle et l'idée même d'un quelconque fédéralisme seraient reléguées aux oubliettes.
     Le pire est-il donc sûr? Peut-on encore sauver la construction européenne, dans sa réalité et dans l'immense espoir qu'elle a suscité d'approfondissements à venir? Il est clair en tout cas que la voie choisie n'a pas été la bonne: depuis une décennie au moins, le divorce avec une partie croissante des opinions nationales est patent. D'où l'actuelle impression d'une véritable révolte contre l'Europe, certes accentuée en France par l'impopularité des équipes au pouvoir, mais sensible dans de nombreux pays. Le biais du rapprochement économique, axe principal depuis le traité de Rome -c'était là la conséquence de l'échec de la CED-, a été poussé si loin qu'il se trouve désormais victime de la loi des rendements décroissants, cependant que les progrès rapides de la mondialisation le vident d'une partie de sa substance. Le biais du rapprochement politique, dont la concrétisation la plus éclatante est justement le TCE, a surtout souligné les contradictions et accentué les divisions: faute d'un consensus minimum sur quelques principes, et sur les instances chargées de les mettre en oeuvre, ce remède menace maintenant de tuer le malade.
 Une voie a jusqu'à présent été bien peu suivie: celle de la construction identitaire. Elle pourrait s'appuyer sur le plus positif de l'expérience historique de chacun des pays membres, soulignerait l'ancienneté et la profondeur de leurs interactions, et en dégagerait un petit nombre de valeurs communes, non pas négatrices des aventures nationales dans leur diversité, mais qui en représenteraient une manière de quintessence. Bref, rendre les Européens fiers d'être européens, désireux de partager et développer leurs héritages. N'y aurait-il pas là, potentiellement, le moyen de réunir, non pas 51% des opinions publiques, mais leur très grande majorité, condition d'un nouveau départ sur des bases solides?
 On comprend que les pères de la construction européenne aient mis l'identité en sourdine. En son nom, les Européens venaient de se jeter à la gorge les uns des autres, lors des deux guerres mondiales. Il ne fallait pas risquer de réveiller les tentations nationalistes, militaristes et expansionnistes. Mais on conviendra que celles-ci ont depuis considérablement régressé, même si le populisme xénophobe pointe sa trogne ici ou là. Les Européens n'ont plus guère envie de repartir à la conquête du monde, ou de s'asservir les uns les autres. Loin de toute prétention à une quelconque supériorité, mais sans masochisme, il serait temps de réfléchir sur ce qui nous a rapproché et, osons le mot, sur ce que nous pouvons encore offrir au monde.
 De ce point de vue, envisager l'intégration de la Turquie à l'UE était le pire des signaux: elle brouillerait définitivement toute possibilité de construction identitaire. On peut reprocher au TCE, en laissant cette porte ouverte, et plus généralement en ne traitant pas des limites de l'Europe, d'avoir contribué à son propre désaveu. Le meilleur service que l'UE puisse rendre à la Turquie, ne serait-ce pas de l'encourager par son exemple, et de l'aider pratiquement à construire une Union proche-orientale, hypothèse aujourd'hui certes lointaine, mais moins que celle d'une UE s'étendant sans limite, et demeurant cependant viable?
 Quelles que soient les critiques à adresser à l'UE et au TCE tels qu'ils sont, on ne peut pour l'instant pas leur opposer d'alternative autre que le grand retour en arrière vers l'Etat-nation absolutiste. Il faut donc sauver les meubles, voter oui sans enthousiasme mais sans état d'âme, et repartir ensuite vers de plus beaux sommets.


 


Re: Feu l'union europeenne? par Noy le Mercredi 25/05/2005 à 10:18

Bonjour,

La réponse de Thibaud de la Hosseraye aux critiques  de "l'équipe DSK"

http://www.ineditspourlenon.com/la_suite.htm  

Lecture critique d'un commentaire* de l'Exposé des arguments
* (par l'équipe DSK – consultable sur leur blog –)


 Equipe DSK : Relevons, à titre liminaire, que l'auteur se dit et s'assume de droite [ Où donc? En l'occurrence, je ne comprends même plus ce que cela peut vouloir dire. ]. Sa critique relève plus de celle de la droite souverainiste à la sauce Villiers ou Dupont-Aignan que de celle d'une partie de la gauche [ A tout prendre, j'aurais préféré Séguin...et tant qu'à jouer le sous-marin du souverainisme dans les eaux d'un Oui de droite, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout de la duplicité : un souverainisme de gauche, à la Chevènement (cf. plus haut)? Mais trêve d'étiquettes ! Ce qui est sûr, c'est que rien, dans mon texte, ne s'oppose à une option fédéraliste, bien au contraire: c'est uniquement dans cette perspective que je me place. L'alternative, pour moi, est simplement un peu plus ouverte. Je refuse la formule Bayrou : n'importe quelle Constitution plutôt que pas de Constitution (qui ne laisse aucun choix), et j'aimerais qu'on accepte la formule inverse, à mes yeux nettement plus sensée : plutôt "pas de constitution" que "n'importe quelle Constitution". Argument 13 ]. Cela n'empêche pas de la réfuter...


" Un Non français sera d'abord, aux yeux de l'Europe comme du monde, celui de la France et en cela, il parlera de lui-même"

Equipe DSK : faites-lire cet argument à un étranger: il vous répondra : "c'est l'exemple même de l'arrogance dont vous Français font trop souvent preuve". Sortons nous de l'idée que c'est parce que la France, dans sa grandeur, a parlé, que les autres vont suivre tels les moutons de Panurge... [ Qui peut-on espérer convaincre avec ce genre de rhétorique hors propos? Je ne parle que du projet social français et c'est un homme "de gauche" qui me trouve "arrogant". Mais c'est exactement le discours de Sarkozy! Argument 12 ]

Cet argument donne malheureusement le ton au reste de la critique. Celle-ci reprend des arguments connus :


"ce qui pose problème c'est le libéralisme de la Constitution "

Equipe DSK : ce que dit DSK et ce que dit le Parti socialiste, c'est que ce traité est le plus social que l'Europe ait jamais connu [ Ce ne serait pas contradictoire, malheureusement, même si c'était vrai. ]. Le problème n'est pas de jeter le capitalisme libéral par dessus bord, il est de le contrôler, de l'humaniser et surtout de le réformer: c'est cela le projet social-démocrate et le traité constitutionnel légitimise ce projet. [ C'est juste l'inverse qui est vrai. Il est curieux, à ce propos, que les Oui "de gauche" restent aussi discrets sur le "Manuel critique du parfait européen" de Jacques Généreux : on dirait qu'ils sont les seuls à ne pas en avoir entendu parler. Qu'on relise, tout de même, l'article III 314 du projet de Constitution: « Par l'établissement d'une union douanière, conformément à l'article III 151, l'Union contribue, dans l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres ». Maurice Allais (prix Nobel d'économie 1988) a raison de dire qu'« il résulte de cet article que non seulement la Constitution ne protège en aucune façon contre les excès du "libéralisme", mais au contraire institutionnalise la suppression de toute protection des économies nationales de l'UE » (Le Monde, 15-16 mai 2005). Tout ce qu'on trouve à nous répondre là-dessus, c'est que c'est déjà le cas depuis le traité de Rome de 57 ! Je ne comprends même pas le sens de cette objection : c'est comme si un défenseur de la peine de mort avait prétendu son abolition impossible pour la seule raison que cette peine était prévue par la loi. Arguments 3, 8 et 14 ]


"il y a une divergence radicale sur le fond entre oui de droite et de gauche puisque la droite approuve le libéralisme tel que le normalise la Constitution alors que la gauche ne l'accepte et ne consent à le constitutionnaliser que dans la perspective de le corriger".

Equipe DSK : cette différence d'approche, réelle, entre les partisans du oui de droite et ceux de gauche est bien la preuve de ce que les tenants du non s'épuisent à vouloir réfuter: à savoir, que la Constitution européenne permet de mener des politiques de droite comme des politiques de gauche [ Rectificatif, simplement logique : c'est seulement la preuve que c'est ce que prétendent les partisans du Oui. ]. Elle constitue une maison commune dans laquelle chaque citoyen européen peut se reconnaître quelles que soient ses convictions (à conditions que celles-ci ne soient pas extrêmistes car la Constitution rejette la xénophobie de même que le modèle d'économie planifiée à la soviétique.) [ Notons le petit relent habituel de diabolisation du Non, grâce au couple infernal Le Pen (pour la xénophobie) - Buffet (pour la planification à la soviétique). Cette com' subliminale s'épuise en vain : la technique stalinienne de l'amalgame n'arrivera pas à convaincre un seul partisan du Non de bolchévisme antisémite ou vice-versa. Ce qui est bien en question, en revanche, c'est le rétrécissement ici reconnu des angles de perspective encore ouverts par cette Constitution, pour d'éventuelles alternatives de politique économique et sociale. Permettez-moi de refuser, sans arrogance, qu'on m'impose de choisir, à l'avenir, entre blanc bonnet et bonnet blanc, comme disait le sale communiste ex-résistant Jacques Duclos. Or c'est déjà ce qu'on essaye de faire en me soutenant que voter Non à cette Constitution, c'est voter Oui à sa partie III ! –Un mot encore sur Duclos. Pardon pour les amateurs d'étiquetage, mais cette référence m'amuse : elle m'a été soufflée, non par un communiste, mais par un "gaulliste de gauche" que j'estime, personnellement, très loin à la gauche de DSK, lequel n'est certainement pas, de tous nos acteurs politiques, le plus gêné de n'avoir à opter qu'entre social-libéralisme et libéralisme social. Mais tout le problème de la démocratie en Europe est justement là ! On parle d'extension des "compétences" du Parlement européen : à quoi bon, à ce degré de prédétermination constitutionnelle de la politique européenne ? Qui ne voit que cette inflation du terme de "compétence" dans la Constitution ne sert qu'à éluder la question des pouvoirs effectifs ? Cette Constitution est une machine absolument originale : une machine à produire du déterminisme et à s'y enfermer. Ça aussi, c'est de l'inédit : du jamais vu. Décidément, vive Giscard ! Argument 16 ]


"La gauche devrait plutôt réaliser qu'en votant Oui, les Français prendraient le risque énorme de laisser la voix du Non à une autre Nation, nécessairement moins sociale ou plus libérale que la France."

EQUIPE DSK : croire qu'un pays qui vote non se met en position de force au sein de l'Europe, c'est se tromper lourdement. C'est comme affirmer que ce qui fait avancer la voiture, c'est le frein ! Au sein de la voiture Europe, mieux vaut être le volant ou le moteur (franco-allemand)... Les partisans du non nous proposent comme projet européen de prendre la place de l'Angleterre de John Major : le rôle du frein qui n'a jamais réussi à empêcher les avancées de la construction européenne mais au mieux de les retarder (la politique sociale) ou de s'en tenir à l'écart (l'euro). [ Chacun jugera de la pertinence de cet argument...surtout pour l'Angleterre (!), le Danemark, etc. ]


"la Charte n’a pas de valeur juridiquement contraignante puisque tout en s’inscrivant dans la Constitution, elle y inscrit en même temps la restriction explicite qu’aucun de ses articles ne saurait prévaloir, dans aucun des Etats membres, sur les pratiques institutionnelles de cet Etat (cf. II-111-2, II-112-4 et 5 et le préambule) (19). Au contraire, la partie III, elle, se présente elle-même comme absolument contraignante et elle est littéralement normative."

EQUIPE DSK : juridiquement, tous les articles de la Constitution se valent. DSK, ni aucun leader du PS favorable au oui (à notre connaissance) n'a prétendu le contraire. Affirmer que la Charte doit s'incliner devant le droit national est inexact: lisez les articles cités, ce n'est pas ce qu'ils disent ! Ce que dit le texte, c'est que la Charte ne crée pas un droit général pour l'Europe à légiférer en matière de droits fondamentaux. Elle indique par ailleurs que certains droits sont inspirés des traditions constitutionnelles nationales (par exemple le droit à l'objection de conscience) et que, en tant que tels, ils doivent être interprétés conformément à ces traditions. [ Merci de cette confirmation. Mais honnêtement, je ne vois pas très bien où je suis contredit... ]


"la Constitution inféode l'Europe à l'OTAN"

EQUIPE DSK : tordons le cou une fois pour toutes à cet argument. [ J'aime ce langage guerrier, quand on aborde le sujet de la défense. En revanche, le "une fois pour toutes" ne semble-t-il pas d'une arrogance par trop "française" ? ]

a) D'abord, cessons la schizophrénie: la France est membre fondateur de l'OTAN. Elle ne fait plus partie du commandement militaire intégrée mais elle est juridiquement tenue par toutes les dispositions du traité de l'Atlantique nord. La situation est la même pour la grande majorité de nos partenaires européens. Quoi que dise le traité constitutionnel, nous sommes tenus de respecter nos engagements au sein de l'OTAN. Le traité constitutionnel prend la peine de le dire explicitement... dans les mêmes termes que les traités européens actuels (art I-41 paragraphe 2) ! Alors pourquoi s'en offusquer ? [ Parce qu'il ne s'agit pas d'un "traité" mais d'une Constitution et que, comme le dit le tout premier article qu'on a tout de même dû lire: « la présente Constitution établit l'Union européenne à laquelle les Etats membres attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs communs », c'est-à-dire ceux-là même qu'elle définit. Une Constitution est constitutive de l'entité politique à laquelle elle s'applique et constitutive, non seulement dans les faits, mais en droit. Il est inquiétant que sur tous leurs points les plus faibles, les partisans du Oui ne parlent plus de Constitution, mais de "traité constitutionnel". Comment se peut-il que ce double langage ne suffise pas à les discréditer ? Argument 14 ]

b) Est-ce à dire que la défense européenne est à tout jamais soumise au diktat américain ? NON ! Avant de tirer à vue sur l'OTAN, il faudrait peut-être étudier les obligations précises qu'elle nous impose. Quelles sont-elles ? Il s'agit d'une obligation d'assistance mutuelle en cas d'agression armée: c'est ce qu'on appelle la défense commune ou la défense collective. La défense européenne, organisée au sein du traité de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) a toujours reconnu, depuis les années 50, la prééminence de l'OTAN dans ce domaine. Dans ce domaine précis, tout ce que change le traité constitutionnel, c'est d'affirmer l'existence d'une obligation d'assistance mutuelle propre à l'UE à côté de la solidarité atlantique tout en reconnaissant que cette dernière demeure prioritaire en cas d'agression (art I-41 paragraphe 7). C'est déjà un grand progrès [ Le "progrès" consisterait donc à subordonner explicitement à l'OTAN l'assistance mutuelle nouvellement propre à l'UE ? Je comprends qu'on en veuille encore, ici, à de Gaulle et Mendès-France d'avoir fait "capoter" la CED (1954), et cela précisément contre l'euro-atlantisme qu'on nous ressert maintenant – la vengeance est un plat qui se mange froid – comme une prouesse anti-anglo-saxonne (voir la suite) qui est en réalité une formidable victoire anti-européenne : c'est ce genre de "défenseurs" dont l'Europe est fondée à dire : « gardez-moi de mes amis, mes ennemis, je m'en charge ». Argument 14 ] et, pour tous les Etats atlantistes, Royaume-Uni, Pays-Bas, etc... (sans parler des Etats-Unis [ Mais on en parle! Quel lapsus ! Je ne sais pas s'ils étaient représentés à la Convention, mais, visiblement, ils n'en avaient pas besoin. Argument 14 ]), c'était une hérésie qu'ils ont mis très longtemps à accepter au cours de la négociation, en accusant la France de chercher à affaiblir le lien transatlantique ! [ Ce genre d'argument d'autorité n'impressionne plus que ceux qui veulent y croire. Comme si on n'avait aucune idée des procédés en usage dans toute négociation ! ]

c) En revanche, l'OTAN ne nous impose aucune obligation s'agissant de l'assistance mutuelle face aux autres types de menaces (terrorisme, catastrophes, naturelles, épidémies). Dans tous ces domaines, le traité constitutionnel crée une obligation d'assistance entre Européens, en toute indépendance par conséquent visà-vis de l'OTAN (art. I-43 et III-278). [ On est heureux et fier d'apprendre (à ce point pénultième de la progression argumentative) que les USA nous autoriseront à nous aider mutuellement. ]

d) Mais le point crucial, c'est celui qui a trait à ce qui est réellement l'aspect important pour l'Europe de la défense aujourd'hui: l'intervention militaire dans les pays tiers. Le défi pour l'Europe au XXI siècle, ce n'est plus de se défendre contre une invasion de chars soviétiques, mais de pouvoir choisir d'intervenir ou pas, en accord avec les Nations-Unies, dans toutes les régions du monde où il faut aller prévenir ou mettre fin aux conflits ou venir au secours de populations en danger. Dans ce domaine, l'OTAN ne nous impose pas non plus d'obligation. Nous avons toujours refusé, au sein de l'OTAN comme dans le traité constitutionnel, de reconnaître à l'OTAN une quelconque "priorité d'intervention". Cela veut dire que le renforcement de l'harmonisation et l'efficacité des capacités militaires européennes permises par le traité constitutionnel donnera à l'Europe une puissance militaire indépendante des Etats-Unis et de l' OTAN. [ L'article I 41-2, alinéa 2, énonce littéralement une exigence absolue (et constitutive) de compatibilité de « la politique de l'Union » avec « la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre » qui est celui de l'OTAN. Que le lecteur veuille bien se reporter au texte et qu'il en profite pour apprécier le soin avec lequel cette perle est cachée dans l'huître. Qu'il juge de lui-même, à partir de là, qui a le droit d'accuser qui de contre-vérité ou de "mensonge" puisque tant de partisans du Oui n'ont que ce mot à la bouche, symptomatique de leur propre état d'esprit, du peu de cas qu'ils font de la dignité des personnes et surtout, finalement, de leur propre dignité. Argument 14 ]


dernier argument de ce site Internet: l'argument archi-classique de la confusion entre traité constitutionnel et projet de directive Bolkestein. [ Ce n'est jamais bien de "confondre". Il n'en reste pas moins que la "directive Bolkestein" se trouve en toutes lettres contenue dans le dernier alinéa de l'article III 145 qu'on voudra bien lire intégralement : « sans préjudice de la sous-section 2 relative à la liberté d'établissement, le prestataire [de l'un des nombreux types de services définis plus haut] peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l'Etat membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet Etat impose à ses propres ressortissants ». On notera que le prestataire peut travailler dans les mêmes conditions que celles que l'Etat impose à ses seuls ressortissants. Il n'est pas dit qu'il ne peut travailler que dans ces conditions. Il est dit...le contraire ! Comment ne pas voir la différence entre "pouvoir" travailler dans certaines conditions et se les voir "imposées" (Apprécions, du reste, la rhétorique du texte : c'est au nom de la liberté de "pouvoir" qu'il faut réduire la nécessité d' "imposer") ? Que manque-t-il encore au juste? Uniquement la précision de la durée de cette prestation temporaire, ce qui fait tout l'objet de la directive. Comment donc la Constitution permettrait-elle de se battre contre la Constitution !? Il faut arrrêter de prétendre qu'elle dit tout et son contraire ! Elle est parfaitement cohérente : c'est la moindre de ses "qualités". Quant à moi, je ne conteste même pas l'éventuelle opportunité d'une "directive" Bolkestein. Je dis que le seul terme de "directive" (pour désigner l'ensemble du dispositif qu'elle programme) est un piège destiné à nous faire croire, jusqu'au 29 mai, qu'elle n'est pas déjà constitutionnalisée dans ce projet de Constitution. Et que ceux qui soutiennent l'inverse, ou bien s'aveuglent plus ou moins volontairement, ou bien choisissent de jouer un jeu extrêmement dangereux. Et je trouve mon jugement bien modéré, comparé aux injures dont je suis abreuvé par nombre de partisans du Oui, en particulier "de gauche" (à moins que "menteur" ou "malhonnête" ne soient pas pour eux des injures, ce que je vais finir par croire, malheureusement...). Arguments 18 et 19 ]

EQUIPE DSK : rappelons seulement sur ce point, déjà abondamment réfuté [ inutile de préciser ni où, ni quand, ni comment...], que ni DSK ni les autres partisans socialistes du oui n'ont soutenu que la directive Bolkestein était anti-constitutionnelle. Ce qui est clair, en revanche, c'est que le traité constitutionnel nous donnera plus d'outils juridiques et politiques pour la combattre. Pour ne prendre qu'un exemple [ entre mille, sans doute...]: le droit d'avertissement donné aux parlements nationaux (parfois appelé "carton jaune" [ toujours cette arrogance française de prétendre, à soi tout seul, vider tous les joueurs du fameux "terrain de jeu" de Giscard (on nous la resservira, celle-là, chaque fois qu'il faudra reblanchir le sale "mouton noir"....) ], même s'il est normalement destiné à combattre les textes qui empiètent sur les compétences nationales [ c'est-à-dire même s'il ne s'applique pas ici ], pourra en fait [ notez bien « en fait »...mais malheureusement pas « en droit »! ] aussi servir à exprimer solennellement [ cette solennité impressionne ] l'opposition de nos représentants à ce genre d'initiatives. [ Entre mille, c'est tout ce qu'on a trouvé à retenir comme exemple ? ]
                                                                                                                                                                                            GM / Equipe DSK


       Je ne voudrais surtout pas paraître, à mon tour, offensant, mais j'en viens à me demander (sans doute un peu tard) si vraiment le lecteur avait besoin de mon commentaire de ce "commentaire" pour en évaluer les limites.
Je ne voudrais pas non plus qu'il se trompe sur la vivacité, parfois, de mon propos : comme je ne réponds pas à ceux qui m'insultent, mon indignation déborde sur ceux à qui je réponds. Je sais que c'est injuste et je prie de m'en excuser l'auteur de ce travail que je respecte. Sincèrement.
Je suis conscient que si je m'oblige à le dire, c'est en effet que cela ne va pas sans dire...et aussi que ce que je viens de dire peut encore se réduire à de la stratégie de communication. Il me semble bien, toutefois, que ce sont toujours des arguments auxquels je m'en prends, ou des procédés, mais qui ne lui sont pas propres et se mettent en branle quasi mécaniquement, dans les situations de conflit.
Mes réactions peuvent être tout aussi mécaniques. J'aimerais seulement qu'elles soient rationnellement éclairantes. Je n'ai pas essayé de corriger autrement mon "style", tenant à lui garder autant de spontanéité que possible. Pardon tout de même, puisque je n'aurai pas manqué d'être blessant, ni même peut-être, parfois, d'avoir voulu l'être.

 

 


Re: Re: Feu l'union europeenne? par Jean-Louis Margolin le Samedi 28/05/2005 à 00:47

Monsieur de la Hosseraye,

Votre "chemin de Damas" est une jolie histoire, et je vois qu'elle a du succès, de la gauche socialiste à la droite UMP (Dupont-Aignan ce soir sur France-Culture), mais j'ai passé l'âge des contes de fée. Comment peut-on sincèrement passer en quelques jours du raffarinisme (à moins que vous n'ayez passé les trois dernières années dans la jungle de Nouvelle-Guinée, vous deviez bien avoir une idée de ce qu'était sa politique) à une critique aussi radicale, aussi longuement argumentée, non seulement du TCE, mais si l'on y regarde bien, de l'ensemble des politiques suivies à droite et à gauche (SURTOUT à gauche) depuis au moins trente ans?
Vous (ou vos "co-rédacteurs"?) refusent apparemment aussi le principe de non-contradiction (pourtant pas inscrit au TCE). Vous croyez bon d'affirmer vers le début de votre texte:
"je ne suis pas pour autant passé du libéralisme social (à vocation humaniste) qui caractérise le courant Raffarin au socialisme, même libéral, d’un Cohn-Bendit ou d’un DSK. Pour moi, le libéralisme est tout à fait défendable..." .
Mais ensuite vous vous déchaînez contre tout ce qui vous paraît (parfois abusivement d'ailleurs) libéral, non seulement au niveau du TCE, mais sur le fond.Pas un seul libéral, si nuancé soit-il, ne pourrait raisonnablement manifester une telle passion éradicatrice.
Et, en particulier vous tirez à boulets rouges (à tous les sens du terme) sur le "sociolibéral" DSK, quelques lignes plus tôt trop à gauche pour vous. logique sans peine !
PAS UN SEUL de vos arguments soit disant issus d'une évolution "personnelle" ne dépare par rapport à ce qu'on entend et lit depuis trois mois chez les nonistes. Quelle heureuse coïncidence ! Vous n'avez par contre pas un seul mot critique à l'égard de l'étatisme "anticapitaliste" et EXPLICITEMENT " antilibéral" échevelé préconisé par l'aile radicale du non de gauche. Quel étrange libéralisme, à nouveau ! Ca me rappelle qu'il y avait un parti "libéral" dans le système politique est-allemand, pour faire joli. Mais je deviens méchant.
Et vous, vous êtes si angélique: les horribles turpitudes des politiciens ouistes, qui savent bien au fond que les nonistes au raison, mais sont accrochés à leurs salaires et pots-de-vin, vous ont vertueusement indigné (bien sûr, dans votre nouveau camp, les ambitions personnelles ne comptent pas, tout le monde le sait !).Comment peut-on croire à pareille fable? Là encore, excusez-moi, mais vous me faites penser aux procès de Moscou: l'adversaire ne défend pas des idées, c'est au fond un corrompu, un pervers, un criminel. A abattre !

Il y a eu plusieurs faux-nez dans cette campagne, côté noniste. J'espère seulement que vous êtes le dernier.

Drôles de méthodes en tout cas.

JL Margolin

PS: Etant un peu historien, je vous rappelle quand même que, si critique qu'il ait parfois été à l'égard des USA, De Gaulle n'a jamais contesté le caractère vital pour la France de l'Alliance Atlantique, et que dans les crises majeures de la Guerre Froide (Corée, Berlin, et surtout fusées soviétiques de Cuba, en 62), il a solennellement soutenu Washington, quitte à risquer une guerre avec l'URSS.


Re: Re: Re: Feu l'union europeenne? par Noy le Samedi 28/05/2005 à 01:33

Bonjour,

Pourquoi tant de haine. Vous n'êtes pas entrain de devenir méchant, vous l'êtes déjà.

Et vous parlez de drôles de méthodes!

Salutations


Re: Re: Feu l'union europeenne? par Bernard Leprêtre le Dimanche 29/05/2005 à 10:45

" Un Non français sera d'abord, aux yeux de l'Europe comme du monde, celui de la France et en cela, il parlera de lui-même"

Equipe DSK : faites-lire cet argument à un étranger: il vous répondra : "c'est l'exemple même de l'arrogance dont vous Français font trop souvent preuve". Sortons nous de l'idée que c'est parce que la France, dans sa grandeur, a parlé, que les autres vont suivre tels les moutons de Panurge...

Il n'y a aucune arrogance, française ou non, là-dedans : on nous demande de nous prononcer sur un projet, nous nous prononçons. Le B-A BA est de pouvoir répondre librement, même si ce n'est pas dans le même sens que la majorité. Ah mais il paraît, d'après M. Junker, que dans ce cas la France "confisquerait" leur vote aux autres pays qui ont dit ou diront Oui. Bien étrange conception du vote démocratique.
Par ailleurs, bien sûr que les autres pays ne vont pas s'aligner
d'un jour à l'autre comme des moutons sur le Non français. Personne ne le croit. Mais il est tout aussi évident que ce Non ne pourra pas être ignoré non plus: d'une part parce que la France compte parmi les "grands" pays européens ; d'autre part parce qu'elle fait partie des 6 pays fondateurs; enfiin parce que parmi ces 6 elle est de ceux qui ont joué le plus grand rôle dans la construction européenne.
Un Non est donc, de quelque pays qu'il vienne, parfaitement légitime. S'il est français il est aussi "incontournable".
  
 


et maintenant ? par Vanessa le Lundi 13/06/2005 à 10:36

Thibaud de La Hosseraye a écrit sur son site, concernant l'après 29 mai :

"      Un tel sentiment de délivrance, un tel débordement d’enthousiasme, de pensées diverses me sont venus à l’annonce de cette victoire du Non, elle-même accompagnée de tant de mots d’amitié (j’ose à peine l’avouer : de reconnaissance, moi qui en mérite si peu d’avoir tellement tardé !), qu’il ne m’a pas fallu moins que trois ou quatre jours, dans un premier temps, pour tâcher de clarifier ce que je pourrais avoir à dire d’à peu près sensé, voire d’éventuellement utile à ceux qui s’y intéresseraient.
       J’ai même éprouvé, un moment, la tentation de me taire, de m’effacer complètement, mon « devoir » accompli, de retourner au paisible anonymat qui était le mien avant que je ne me sois cru obligé d’exposer mon témoignage et les raisons d’un choix qui me paraissait vital pour la France et pour l’Europe : qui dépassait de loin ma personne.
       Puis j’ai commencé à recevoir certains courriers où on s’étonnait de mon silence, qui me donnaient l’impression douloureuse de décevoir, peut-être d’avoir déserté, trahi, en fin de compte, et cela dans le même temps où je prenais progressivement conscience qu’en réalité rien n’était gagné, pas même cette première vraie bataille, et que, si faible qu’ait pu être mon poids dans ce formidable jeu d’équilibre des forces, je n’avais plus le droit d’en renier ma part de responsabilité, d’abandonner à l’ouverture, par définition largement indéterminée, du Non, aucun de ceux, quand il n’y en aurait eu qu’un, que j’aurais contribué à convaincre d’y entrer.

       C’est pourquoi je voudrais maintenant, afin de lutter contre le révisionnisme en direct auquel nous assistons, reprendre d’abord le fil de notre histoire et tenter d’exposer ce que j’en comprends et les conséquences qui me semblent devoir en être tirées pour le proche et plus lointain avenir.



       Ce qui me paraît sûr, c’est que cette victoire n’est pas d’un parti contre un autre, c’est bien celle du peuple de France et de la liberté de la France contre toutes ses puissances d’établissement, qu’elles soient politiques ou médiatiques ou, sans complexe, conjuguant les deux, ce qu’on appelle (on espère, en effet, à tort) ses « élites », en réalité ceux « qui tiennent les clefs de la connaissance [et du pouvoir !] et qui empêchent les autres d’y entrer ».
       Mais bien avant que (sans protestation encore d’aucune voix autorisée) notre gouvernement n’eût daigné nous communiquer le texte constitutionnel, combien d’entre nous ne se l’étaient-ils pas déjà procuré à leurs propres frais, s’avertissant mutuellement d’en exiger la version intégrale (c’est-à-dire surtout pas celle de l’omniprésent propagandiste Olivier Duhamel, aux multiples casquettes de « socialiste », constitutionnaliste, professeur à Sciences Po, député européen, conventionnel, chroniqueur, interviewer, à la radio ou à la télévision, bientôt, peut-être, en désespoir de cause, enfin poète !), une version non expurgée donc, la version pour adultes, incluant la partie III (dont on ne répétera jamais assez que les Espagnols ont été privés) ainsi que les protocoles et annexes indispensables à l’interprétation de l’ensemble, sans parler du rapport du Parlement européen sur ses motifs d’adoption du projet ni de la déclaration officielle de l’opinion minoritaire, loin d’être dépourvue d’intérêt et contenant d’ailleurs en soi, très expressément, les prémices d’un éventuel « plan B » que tout le monde s’accorde, encore aujourd’hui, à occulter.
       Toujours est-il que, s’étant procuré le texte, un nombre croissant de Français se sont mis à le lire, ou plutôt, pour beaucoup d’entre eux, et jusqu’aux mieux formés au droit, et au droit constitutionnel, à en découvrir, au moins de prime abord, l’illisibilité.
       Or ils ne se sont pas découragés pour autant : ils ont cherché, malgré tout, à comprendre, ensemble ou solitairement : pourquoi un tel acharnement ?

       Il faut remonter un peu plus haut dans le temps. Souvenez-vous : c’était fin août. En dépit de l’impopularité, déjà, du pouvoir en place, et de la situation catastrophique, déjà, de la France, les sondages l’attestent, nous étions près de 70% à vouloir une constitution pour l’Europe. On ne l’a pas assez dit : l’a priori était d’emblée favorable, soutenu par une tradition historique nationale d’aspiration au Droit dans son acception politique la plus profonde et originelle – comme instance ultime de prévention contre l’état de guerre et de protection du faible contre le fort – encouragé encore, en l’occurrence, par la conscience de la nécessité d’adapter les institutions de l’Union aux exigences nouvelles que lui imposait un élargissement d’une ampleur et d’une difficulté sans précédent.
       La France était a priori favorable à l’adoption d’une constitution pour l’Europe comme à un événement véritablement fondateur qui donnerait son plein sens à la genèse de l’Union en même temps qu’elle en orienterait l’avenir en en définissant la spécificité relativement au reste du monde.
       Rappelons que c’est dans ce contexte précis qu’un candidat potentiel à la présidence de la République, notoirement pro-européen, depuis toujours et sans équivoque, s’est prononcé, à contre-courant de l’opinion largement majoritaire, contre ce projet et ce, à un moment où l’on entendait courir partout la cynique formule prêtée à Chirac (on ne prête qu’aux riches !) que jamais on ne verrait personne, en France, accéder au pouvoir suprême, qui se serait opposé à une avancée de la construction européenne. Or c’est précisément le risque politique, de prime abord suicidaire, auquel s’exposait Laurent Fabius en prenant position contre le texte même de cette constitution, qui lui a conféré un crédit et une autorité exceptionnels dont ses rivaux « socialistes » n’ont cessé, depuis, de tenter en vain de le déposséder.

       En vain, parce que c’est alors que les Français ont commencé de se saisir eux-mêmes du texte et d’en discuter, de le reprendre maintes et maintes fois, de l’analyser avec une scrupuleuse rigueur, une minutieuse vigilance critique à laquelle n’étaient pas préparés les propagandistes du oui, tout simplement parce qu’ils se refusaient par principe à un tel « parti pris » de lecture et qu’il avaient donc plutôt pris le parti de le déconsidérer – ce qui les mettait de fait en situation d’infériorité argumentative, toujours avec une longueur de retard, ignorant la lettre du texte, négligeant la plupart du temps, les rares fois où ils le citaient, d’en préciser les références, répétant à satiété, surtout, le même unique argument que refuser ce projet reviendrait à se condamner juste à ce qu’on en refusait, sans voir que cette impasse où ils prétendaient nous enfermer, à supposer qu’elle fût vraie, ne nous assurait que du pire de la constitution, dénoncé par ceux-là même qui nous la recommandaient, de « droite » à « gauche » et de « gauche » à « droite », comme une contrainte à laquelle notre liberté n’aurait décidément donc aucun autre moyen de réagir qu’en disant Non !
       Car bien sûr que c’est un Non qui ouvre et non pas qui ferme, un Non qui libère l’avenir, ne serait-ce que parce qu’il remet en cause le présent, au lieu de nous lier constitutivement à un passé qui s’est déterminé sans nous, un Non qui ne contredit nullement le premier Oui, celui qu’attestaient les premiers sondages, le Oui à l’Europe, à une Constitution pour l’Europe… Un Non qui, dans sa fraction la plus décisive, celle qui a renversé la majorité, ne se veut pas davantage exclusif du dernier Oui, Oui au « meilleur compromis », Oui dont il serait étonnant qu’il n’accepte plus désormais de compromis qu’avec les idéologues du néo-libéralisme pur qui vient d’être désavoué - non pas ce Oui qui comptait sur l’onction du peuple pour asseoir et introniser le mépris des peuples, mais le Oui au contraire qui n’a cessé de protester de l’authenticité de son socialisme, de son idéal d’une Europe sociale dont cette constitution n’eût été, à ses yeux, qu’une première étape, ce Oui qui ne pourrait plus aujourd’hui, sans se discréditer pour longtemps, refuser encore de nous rejoindre dans le combat des peuples pour une Europe, en effet, économiquement moins libérale, socialement plus volontaire, et politiquement plus démocratique, ouverte et libre.

       Le retard de ma réaction m’oblige à prendre en compte, malheureusement, une orientation tout autre de nos puissances d’établissement.

       Laissons de côté les médias qui s’obstinent à coups de sondages grossièrement manipulateurs, mais tout aussi facilement décryptables, à vouloir nous convaincre en même temps que le Non est bien lepéniste et que Lionel Jospin reste le présidentiable préféré des socialistes : on ne s’en remet pas, d’avoir agité en vain l’épouvantail dépenaillé du 21 avril, on s’exaspère de l’absence aggravante, ici, de toute mauvaise conscience, on n’en revient pas, que l’instrumentalisation médiatico-mitterrando-chiraquienne de Le Pen, ça ne marche plus.
       Soit dit en passant, c’est tout de même presque touchant de crédulité de nous croire encore assez crédules pour n’avoir toujours pas compris que, lorsqu’on propose à des sondés plusieurs possibilités de réponse à un questionnaire à multiples choix, il suffit de sélectionner soigneusement les choix pour leur faire dire à peu près ce qu’on veut.
       Par ailleurs, si c’est du lepénisme que d’estimer qu’il y a trop d’étrangers en France, alors la quasi-totalité de la classe politique française, Rocard compris, est lepéniste. Moi aussi, je suis lepéniste, non par xénophobie, mais juste à l’inverse, parce que je pense que notre service public d’éducation ne remplit pas correctement sa mission et qu’il est, dans cette mesure, criminel de tolérer, parfois de favoriser pour des raisons de pur profit, un taux d’immigration que nous nous savons incapables d’assumer.
       Cela étant, rien de plus humain que le dépit de la défaite : on veut espérer qu’il n’aura qu’un temps…

       Autrement plus grave est le comportement de la direction du parti socialiste qui confirme au-delà de mes craintes l’explication que j’avais risquée de l’ardeur de son engagement pour le Oui : une stratégie purement politicienne de conquête du pouvoir sur le court et long terme que je me suis déjà efforcé de clarifier dans l’exposé de mes arguments pour le Non (17, 18 et 19) et sur lesquels on voudra bien me dispenser de revenir, tant les effluves en sont nauséabondes.
       En réalité, la confirmation de mon analyse, en tout cas sur le caractère exclusivement et médiocrement politicien du Oui de la direction du parti socialiste, m’avait été apportée, dès avant le 29 mai, par François Hollande en personne, le même qui n’a cessé de nous répéter qu’il ne fallait pas nous tromper d’enjeu, qu’il ne fallait pas sacrifier l’idéal européen à des visées de pure politique nationale, que ce serait une flétrissure indélébile à l’égard de nos enfants et petits-enfants que d’avoir laissé se perdre cette chance historique de donner une constitution à l’Europe, oui, le même François Hollande, le 26 mai, sur France Culture, à midi, déclarant… – mais ici, je préfère passer le relais de la narration et du commentaire à un résistant de la première heure (moi qui ne suis qu’un ouvrier de la dernière), l’héroïque Etienne Chouard qui, le surlendemain, notait dans son journal de bord :
       « François Hollande, sur France Culture, le 26 mai à midi : « Si Chirac avait mis en jeu son mandat, le PS aurait naturellement appelé à voter Non, comme pour de Gaulle en 69 »…
       Et quand le journaliste, médusé, demande de reformuler, le patron du PS en remet une couche.
       On mesure là, dans toute son indécence, la position politicienne du PS, intéressé exclusivement par le pouvoir, très loin du texte pour lequel on peut finalement aussi bien appeler à voter Oui que Non en fonction de considérations tactiques.
       C’est simplement consternant. On est au degré zéro du respect des citoyens : le texte suprême ( dont je rappelle qu’il consacre à la fois des institutions non démocratiques, la privation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sur le plan économique et l’instrumentalisation du chômage par une politique forcée de lutte contre l’inflation ), on s’en fout : ce texte, aujourd’hui ardemment défendu par le PS comme une urgente nécessité, ce texte aurait pu aussi bien être rejeté par le PS si le pouvoir s’était offert rapidement à ce prix.
       Pour le PS on peut donc aussi bien dire Oui ou Non : ce qui compte, c’est faire tomber l’adversaire politique du moment et reprendre le pouvoir. Moi, ça me laisse pantois.
»
       Je n’aurais su mieux dire, si j’avais pu préserver, à l’égard du PS, la capacité d’innocence et donc de surprise et d’indignation qui honore l’auteur de ces lignes.

       Mais que penser, alors, de l’attitude qui fut celle du « Bureau directeur » de ce parti envers Laurent Fabius, dès le soir des résultats du référendum ? Totalement imperméables à l’expression de la volonté du peuple, n’ayant rien de plus pressé que d’en détourner sciemment la signification pour la réduire à une simple manifestation de mécontentement populaire purement conjoncturel, se gardant bien, pour autant, d’exiger, en conséquence, la démission du chef de l’Etat, les ténors « socialistes » n’avaient déjà plus en tête que leur obsession de se positionner en vue de la course aux présidentielles de 2007, en commençant par en éliminer leur candidat, cette fois, en effet, le plus « naturel », c’est-à-dire par l’exclure de la direction du parti.
       Et à quel titre ? C’est ici que la tartufferie atteint vraiment à son comble : Laurent Fabius aurait manqué aux règles élémentaires de la démocratie qui gouvernent le parti socialiste !
Il faut donc savoir que, comme aux plus beaux jours du stalinisme, la démocratie, dans le parti, c’est que lorsqu’une majorité de ses adhérents s’est dégagée sur une position, non seulement, comme il se doit, la minorité ne dispose plus du pouvoir ni des moyens matériels de campagne qui sont alloués au parti, mais elle est en outre, et avant tout, condamnée à se taire ! Au fond, à disparaître.
       Voilà ce que nous enseigne de la « démocratie » François L’autre-pays-du-Non, Tartuffe en chef de Jack, Dominique et Martine Tartuffe dont le vertueux rigorisme ne se réveille qu’une fois connue l’issue du scrutin, une fois longuement consommée l’impardonnable transgression jusqu’alors si patiemment tolérée (ma minute récréative de politique-fiction : mettons que le Oui l’ait emporté, qui croit que Fabius aurait été exclu de la direction du PS ?), une fois seulement avéré que le fautif n’était en fait minoritaire que parmi les seuls encartés de son parti, et majoritaire aussi bien dans l’ensemble du pays que parmi les électeurs de ce même parti, donc dangereux pour la pitoyable coalition de présidentiables, premier-ministrables ou ministrables en herbe qui, bien plutôt que l’ombre d’aucune démocratie, dirige réellement cette pitoyable entreprise de démolition de la démocratie en France et dans l’Europe entière.

       Car c’est là l’évidence à laquelle il faudra bien finir par se rendre.

       Il y a un moment que je crois avoir compris (d’ailleurs pas tout seul) que mon archéo-gaullisme pragmatique était incommensurablement plus à gauche que le néo-libéralisme dogmatique de la si fameuse « gauche européenne » à laquelle s’abandonne désormais le PS, comme à son délire fusionnel de retour à cette indifférenciation qui caractérise la vie intra-utérine (vertigineux fantasme d’une Europe voluptueusement matricielle…), mais je n’avais pas encore perçu, dans toute l’ampleur qui m’en apparaît maintenant, la gravité d’un tel glissement.
       Bien sûr qu’il y a une vocation historique des socialistes à trahir que dénonçait déjà Péguy, puis à réécrire l’Histoire, ainsi en faisant de Péguy un anti-dreyfusard commanditaire indirect de l’assassinat de Jaurès qu’il avait, en réalité, converti lui-même à la cause de Dreyfus (ayant été lui-même, au contraire de Jaurès, un dreyfusard de la toute première heure ), avant de le déclarer, en effet, passible de la peine en son temps réservée au crime de haute trahison, pour s’être obstiné, à la veille de cette guerre qu’il avait tous les moyens (Péguy le démontre) de reconnaître inéluctable, à soutenir de toute son autorité un pacifisme qui ne pouvait que désarmer sa propre nation, son propre peuple, et ce, déjà au nom d’un supra-nationalisme fantasmagorique autant que mortifère (et pas seulement pour lui !)
       Mais le pire n’est pas dans cette compulsive propension du socialisme de parti à trahir d’abord le peuple dont il se réclame, comme il nous en offre, une fois de plus aujourd’hui, le sinistre spectacle : il est dans son renoncement au socialisme lui-même, et par là seulement, a fortiori, à la possibilité d’une véritable alternative politique sans laquelle aucune démocratie, c’est-à-dire aucun débat démocratique, c’est-à-dire aucune liberté de choix ne peut s’ouvrir à la souveraineté du peuple.
       Et la situation inédite où nous sommes, c’est que ce renoncement (dont Jaurès, lui, du moins, ne s’est jamais rendu coupable), il se trouve que c’est en même temps, et au nom de l’Europe, un renoncement de la France à elle-même, un renoncement à la spécificité de la France dans l’Europe, à ce que la France peut et doit donc apporter de spécifique d’elle-même à l’Europe.

       Je m’explique.
       Personne, maintenant que la campagne est achevée, ne songe plus à nier l’évidence que le Non de la France au projet de constitution qui lui était proposé est en effet un Non au dogmatisme néo-libéral de ce projet. Et pourquoi ? Parce que chacun voit bien que les acteurs politiques les plus responsables des difficultés de la France en matière économique et sociale sont les premiers à les imputer à l’inadaptation aux exigences européennes du « modèle » français, c’est-à-dire de la responsabilité qu’il confère à l’Etat dans la gestion des services publics, où s’incarne, de fait, l’idéal de son projet social : ce qui faisait dire naguère au très pertinent et réactionnaire Alain Besançon (pour s’en désoler !) que le libéral Raffarin gouvernait, en France, à la gauche du travailliste Blair, en Angleterre.
       C’est pourtant bien ce fond de consensus national, en soi proprement « révolutionnaire », sur lequel se sont dessinées, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sans jamais l’avoir expressément contesté, toutes les alternatives politiques nécessaires à la vie de la démocratie, et particulièrement sous la cinquième République dont les institutions visaient à favoriser l’émergence de telles alternatives, mais logiquement orientées, du fait de ce consensus intérieur, plutôt vers la politique extérieure de la France – à quoi elle doit son poids, aujourd’hui encore, dans le monde.

       Or ce qui se passe à présent, c’est que droite et gauche de gouvernement s’accordent à s’appuyer sur l’idéal de la construction européenne pour légitimer leur commun renoncement aux exigences de ce projet social spécifique de la France. Et le paradoxe est ici que c’est son anti-nationalisme qui incline le plus naturellement la gauche à sacrifier à l’Europe son opposition au libéralisme, alors que c’est le nationalisme de droite qui est porté à s’opposer le plus naturellement à la dissolution de la spécificité française dans la mondialisation néo-libérale de l’Europe.
       Se développe ainsi, sur la question de l’Europe, une lutte à fronts renversés, non seulement politique, mais plus gravement idéologique, entre la gauche de gouvernement et la droite souverainiste, où la permutation des rôles de chacune les contraint l’une et l’autre à jouer à contre-emploi : ce n’est plus seulement Raffarin qui, à la gauche de Blair, prétend défendre la constitution au nom du « modèle » français, c’est le très progressiste Kouchner qui, à la droite de Raffarin, se moque de cette gauche à laquelle il suffit d’entendre « libéralisme » pour entrer en état de transe et le très réactionnaire de Villiers à qui revient de dénoncer, à la gauche de Kouchner, mais avec une tout autre cohérence, l’Europe courant d’air dont l’objectif constitutionnalisé de l’abolition de ses propres frontières ne vise qu’au meilleur fonctionnement d’un libre-échangisme sans frein auquel ce sont les plus pauvres qui ont le plus à perdre.

       Le prodige, dans cette apparente confusion générale dont le PS, en particulier, ne s’est pas privé de jouer, c’est qu’au-delà de tous les partis, le peuple, lui (car c’est justement la définition du peuple que de pouvoir être de TOUS les partis), ne s’y est pas trompé.
       Il n’a nul souci du politiquement correct et il n’y a rien d’étonnant à ce que même le discours de Le Pen, du moins tant qu’il réussit à s’abstenir de parler de Juifs, puisse lui paraître aujourd’hui, en tout cas conjoncturellement, le situer plus à gauche, c’est-à-dire plus près des pauvres, que nos grands clercs Kouchner, Hollande ou, a fortiori, Dominique Strauss-Kahn. Qui peut encore ignorer que c’est l’instrumentalisation de Le Pen qui fait Le Pen ? Et quand voudra-t-on admettre que l’épouvantail du populisme n’épouvantera jamais le peuple ? … si ce n’est en ce qu’il peut y deviner d’intention, chez ceux qui le brandissent, de lui confisquer le pouvoir ou, à défaut, de travestir la signification de son suffrage !
Il ne voit peut-être pas encore à quelle gauche il peut accorder sa confiance, mais il sait désormais laquelle déporte le centre de gravité de la France vers une droite idéologiquement bien plus anti-démocratique et libérale que n’ose avouer l’être celle aujourd’hui au pouvoir.
       Il a surtout entendu, impuissant, l’assourdissant silence au milieu duquel, sans nul écho, le lendemain du référendum, Fabius avertissait posément qu’il ne faudrait pas que l’affaiblissement du chef de l’Etat finisse par devenir aussi celui de la France elle-même. C’est le bon sens qui parle, mais il ne parle pas encore assez fort.
       Il y a au moins deux raisons pour lesquelles Chirac est dans l’obligation de droit de démissionner : la première est qu’il s’est engagé de toute sa personne, et jusqu’à la dernière heure, dans le sens d’une orientation du destin de la France qui a été contredite par le peuple dont il tient directement et exclusivement son autorité – la seconde, et la plus grave, c’est qu’il a pris le parti, dès avant le résultat du référendum, de contredire la volonté du peuple si le peuple le contredisait, en rejetant a priori toute perspective de renégociation de ce que le peuple aurait refusé. C’est-à-dire qu’il a pris le parti, en effet, de l’affaiblissement de la France : il a pris parti contre la France.


       Nous devons à notre dignité, à la dignité de la France, du peuple de France comme de tous les peuples d’Europe, de nous préparer à satisfaire à l’exigence, quelles que puissent en être les conséquences, à l’exigibilité absolue de la démission du chef de l’Etat.
       Il est vrai que le ministère de l’Intérieur n’a pas été confié par hasard à Sarkozy : le pouvoir en place avait du reste prévu l’extrême probabilité d’un mouvement insurrectionnel, dès l’issue du scrutin.
       N’importe. J’ai retenu cette leçon, entre autres, de mon professeur de Philosophie de Terminale que, quand bien même la terre entière serait soumise à une loi d’airain, quand bien même toute révolte contre cette loi serait vouée à l’échec, au point que nul ne songerait seulement plus à se révolter, quand bien même on aurait partout perdu jusqu’à l’idée d’aucune liberté, c’est alors, à cette heure au contraire, dans ce silence de plomb qui couvrirait toute l’étendue de la planète, que la seule explosion d’un Non serait la plus retentissante, car c’est alors qu’elle témoignerait justement du plus de liberté, d’une liberté capable de transcender jusqu’à l’impuissance absolue où serait enfermé le monde – et le seul cri, même impuissant et désespéré, de ce seul Non, suffirait alors à transfigurer ce monde …
       Si nous devons quelque parcelle de gratitude à toutes nos puissances d’établissement, ce n’est que de nous avoir imposé les conditions dans lesquelles notre Non a pu, de si loin que ce fût, quelque peu ressembler à ce Non.
       Que les morts enterrent leur mort : médias morts, qui n’ont plus de mouvement qu’inertiel, exécutif décapité, qui s’est éxécuté lui-même…
       Nous, il nous reste à donner corps à notre Non - mais rien ne nous en retirera la fierté.  "


Re: et maintenant ? par Sylvain le Jeudi 16/06/2005 à 14:17

J'en souligne un passage, sur les socialistes en général et Jaurès en particulier qui me trouble :

« Bien sûr qu’il y a une vocation historique des socialistes à trahir que dénonçait déjà Péguy, puis à réécrire l’Histoire, ainsi en faisant de Péguy un anti-dreyfusard commanditaire indirect de l’assassinat de Jaurès qu’il avait, en réalité, converti lui-même à la cause de Dreyfus (ayant été lui-même, au contraire de Jaurès, un dreyfusard de la toute première heure ), avant de le déclarer, en effet, passible de la peine en son temps réservée au crime de haute trahison, pour s’être obstiné, à la veille de cette guerre qu’il avait tous les moyens (Péguy le démontre) de reconnaître inéluctable, à soutenir de toute son autorité un pacifisme qui ne pouvait que désarmer sa propre nation, son propre peuple, et ce, déjà au nom d’un supra-nationalisme fantasmagorique autant que mortifère (et pas seulement pour lui !) »

Bref, les socialistes sont des traitres, et l'exemple type du traitre socialiste c'est Jaurès, qui a « [soutenu]
de toute son autorité un pacifisme qui ne pouvait que désarmer sa propre nation, son propre peuple (...)». Il était donc bien normal « de le déclarer, en effet, passible de la peine en son temps réservée au crime de haute trahison (...) ».


un commentaire d'article de Maurice Allais par Hervé Caillol le Mardi 14/06/2005 à 00:44

Pour poursuivre dans la même veine, je me permets de retranscrire ce texte de Thibaud, éclairant la question du libéralisme et ce qu'il appelle "le contre-Droit" :

http://www.ineditspourlenon.com/Ineditspourlenon_Suites.htm

IV- Commentaire de l'article « Aveuglement » de Maurice Allais
(paru dans Le Monde du 15-16 mai 2005, page 13)



 

      Si je m’appuie sur l’auteur de cet article, c’est d’abord, bien sûr, parce qu’il sera difficile d’en contester l’autorité (je sais que telle n’est pas la question, mais puisqu’on en est là ! Je veux juste dire qu’on aura plus de mal à regarder de très haut un prix Nobel d’économie qu’un jeune citoyen « idéaliste », un peu naïf –et c’est heureux !). Mais mon intention est surtout de clarifier, à partir de là, le sens des arguments 13 et 16, parmi les plus furieusement attaqués par les Oui « de gauche » (pas du tout ceux « de droite », à une exception près) et dont je préfère annoncer tout de suite que je ne vois rien à y retirer.
Je reprends donc les points saillants de l’article de Maurice Allais, entrecoupés d’un simple commentaire cursif.

La question est ici de savoir si la Constitution proposée peut être interprétée comme un « rempart » contre « les excès du libéralisme ».


       Après une précision initiale sur l’équivoque du terme, selon qu’il est pris au sens politique ou économique, l’auteur souligne l’enjeu et la nécessité d’une réponse à la question qu’il pose en commençant par mettre en lumière une connivence qui trouble, entre Oui de gauche et de droite, sur la thèse de la Constitution-« rempart » :

« Je me bornerai ici à deux exemples particulièrement significatifs, parmi une multitude d’autres. Le 24 mars, Jack Lang a présenté sur RTL un exposé passionné soutenant que la seule protection contre "les excès du libéralisme" était l’adoption du projet actuel de Constitution. Le même jour, la presse faisait état de la "charge de Jacques Chirac contre l’Europe libérale", en s’appuyant précisément sur la protection qui serait assurée par le projet de Constitution contre les excès de l’"Europe libérale". »


       Cette mise en lumière confirme, évidemment, nos arguments 2 et 4. Face aux affirmations gratuites, et d’autant plus péremptoires, des tenants de la Constitution-« rempart », l’auteur oppose (comme toujours les Non, et seulement eux !) le texte constitutionnel :

« En fait, l’article III-314 du projet de Constitution stipule : "Par l’établissement d’une union douanière, conformément à l’article III-151, l’Union contribue, dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres". Il résulte de cet article que non seulement la Constitution envisagée ne protège en aucune façon contre les excès du "libéralisme", mais au contraire que la Constitution projetée institutionnalise la suppression de toute protection des économies nationales de l’UE ». Arguments 13 et 16.

Soulignons la force particulière de l’article du texte constitutionnel auquel se réfère Maurice Allais : même si cette Constitution se contredisait (ce qui serait une raison suffisante pour la refuser : rappelons qu’un compromis entre le cercle et le carré ne peut pas être un "cercle carré", figure, par excellence, de l’absurde, et par conséquent de l’impossible), il n’y aurait aucun article à opposer à celui-ci, dès lors qu’il énonce une incontournable déclaration de principe et d’intention, à la lumière de laquelle doit être également compris ce qu’il entend par l’« intérêt commun », sans qu’il soit d’ailleurs précisé s’il s’agit de celui de l’Europe ou du monde, et pour une bonne raison : c’est que c’est indifférent dans la perspective, ici adoptée, d’une archi-mondialisation de l’Europe. Argument 13.


       Au paragraphe suivant, l’auteur prévient l’objection, ressassée par les Oui, que tout cela était déjà stipulé par le traité de Rome de 1957 (art. 110), en signalant, au passage, cette addition qu’il mentionne "sans commentaire" :

« Il est simplement ajouté, dans l’article III-314 du projet, "la suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers directs". »

     Je me permets, tout de même, d’insister : il ne faut pas croire un instant que cette Constitution (qui n’est pas un simple « traité ») ne serait pas plus libérale (plus libéraliste) que l’ensemble des traités antérieurs, que ce soit dans la lettre ou dans l’esprit. L’article 314, parmi beaucoup d’autres, nous oblige à constater l’exact contraire : outre cet ajout de « la suppression progressive des restrictions aux investissements étrangers directs », il ne faut pas non plus manquer, en point d’orgue, l’avancée néolibérale que représente, relativement à la condamnation, déjà dans le traité de Nice, des « barrières douanières », l’imprécise précision qui étend à l’infini le champ des possibles ouverts au libre-échange et à la levée des barrières : « douanières et autres ».
Comme le note, avec son habituelle acuité, Jacques Généreux dans son Manuel critique du parfait Européen (p.73-74) :

« Dans le traité de Bruxelles, on a ajouté "et autres" pour oeuvrer à la suppression de toutes les protections déjà connues ou imaginables à l'avenir. Est ainsi notamment visée la protection du marché européen par des normes de qualité ou des normes sociales (sur la durée du travail, l'hygiène et la sécurité, le travail des enfants et des prisonniers, etc.). Faut-il rappeler que les Etats-Unis (...) se réservent le droit de mettre en place des mesures protectionnistes dès que l'exposition d'un secteur d'activité à la concurrence étrangère menace leur intérêt national».


       J’en profite pour m’expliquer sur un point qui semble avoir fait problème, dans mon témoignage, en particulier pour plusieurs de mes correspondants d’Attac dont j’espère qu’ils trouveront ici une mise au clair suffisante.

       J’ai dit que je n’étais pas anti-libéral, au sens où j’admets qu’une politique libérale puisse être conjoncturellement opportune, voire la seule raisonnable. Ce que je récuse, en revanche, c’est le libéralisme idéologique, érigé, par cette Constitution, en principe normatif, déterminant pour toute politique à venir.
L’histoire (en cours) de la construction de l’Union européenne offre un exemple particulièrement éclairant de l’opposition que je viens d’expliciter : il me paraît difficilement contestable qu’une bonne dose de « libéralisme » ait été requise pour la création d’un « marché commun » européen –est-ce à dire que l’Europe se soit jamais obligée, pour cette raison, à convertir en une fin ce qui ne lui a été jusqu’ici qu’un moyen ?
On peut consulter minutieusement l’ensemble des traités antérieurs : c’est la toute première fois, dans cette Constitution, qu’il nous est demandé de reconnaître la pratique de la concurrence, et l’exigence de la compétitivité (entre autres), non pour de simples moyens, mais pour des objectifs prioritaires et constitutifs, désormais, de la définition même de l’Union. Argument 16.
Une telle proposition n’est pas seulement insensée du point de vue du droit, comme j’ai tenté de le montrer dans l’argument 16, elle est aussi, économiquement, désastreuse. Maurice Allais renvoie, sur ce sujet, à son analyse de 1999, dans La Mondialisation. La destruction des emplois et de la croissance. L’évidence empirique :

« L’application inconsidérée, à partir de 1974, de cet article 110 du traité de Rome a conduit à un chômage massif sans aucun précédent et à la destruction progressive de l’industrie et de l’agriculture. De là il résulte que l’argument présenté de toutes parts par les partisans du oui à droite et à gauche de la protection que donnerait le projet de Constitution à l’encontre des excès du "libéralisme" est dénué de toute justification réelle. Non seulement les partisans du oui trompent ceux qui les suivent, mais ils se trompent eux-mêmes ».

       Admirons la sereine bienveillance de ce dernier jugement ! Les « excès du libéralisme » sont-ils vraiment si redoutables pour tout un chacun, et en particulier pour nombre de détenteurs de capitaux qui soutiennent et financent avec tant de conviction la campagne du oui ?
S’il y a un aveuglement, il n’est pas que passif : j’aimerais comprendre à quels mécanismes tient l’efficacité de la technique d’aveuglement mise en œuvre par les "voyants" du Oui.
Je risque une explication qui n’est ni bienveillante ni malveillante, mais se fonde simplement sur l’argumentaire de la campagne du Oui où j’observe, à l’heure de la crise du textile, ce qu’on voudra bien me permettre d’appeler « l’exploitation du syndrome du mouton ».


       Chacun l’a compris : ce que l’on stigmatise, dans le fameux « mouton noir », c’est évidemment l’anti-« mouton de Panurge ». Et ce que Rabelais stigmatise dans son fameux « mouton de Panurge », c’est le comportement que voudrait nous convaincre d’adopter l’actuel chef de l’Etat, consistant à ne se déterminer que dans la plus parfaite conformité à la détermination de celui – et a fortiori de ceux – qui se sont déjà déterminés.
La fable de Rabelais nous en montre le danger. Mais s’il est nécessaire de le montrer, c’est que la pulsion moutonnière est en effet l’une de celles qui nous animent le plus animalement. Et pourquoi ? –Parce que nous savons bien que « l’union fait la force » : j’ai même entendu certains Oui regretter que l’on n’ait pas préféré cette formule, pour devise de l’Europe, à celle de « l’union dans la diversité ». D’où procède un tel regret ? –Dans le cas présent, me semble-t-il, d’une conception de l’union qui l’imagine d’autant plus forte qu’elle tend à la fusion, en une seule masse, de ses éléments constituants : devant le danger, serrons-nous bien fort les uns contre les autres, se disent les moutons, qu’il n’y ait plus, entre nous, même l’épaisseur fictive de la moindre douane, pas la moindre limite à notre fusion !
Ils oublient juste que ce n’est pas ce refus de la limite pour chacun d’eux qui peut suffire à en établir une entre eux et l’extérieur : ce refus n’a aucune chance de les protéger du loup, il ne fait que lui faciliter la tâche. Il est même permis de se demander si ce n’est pas précisément pour cette raison que les loups ont toujours tellement aimé les moutons…Argument 13


       Quittons donc nos moutons et revenons enfin à la lecture, autrement instructive, de notre prix Nobel, pour en citer la "conclusion" :

« Pour être justifié, l’article III-314 du projet de Constitution devrait être remplacé par l’article suivant : "Pour préserver le développement harmonieux du commerce mondial, une protection communautaire raisonnable doit être assurée à l’encontre des importations des pays tiers dont le niveau des salaires au cours des changes s’établissent à des niveaux incompatibles avec une suppression de toute protection douanière". »

       Cette conclusion en forme de proposition "alternative" est pour moi une bénédiction ! Elle l’est à beaucoup d’égards (entre autres en ce qu’elle témoigne d’exigence à la fois critique et si résolument "positive" chez ce grand esprit), mais je voudrais n’en retenir que ce qui intéresse le plus directement la clarification de ce que j’appelle (argument 16) un « contre-Droit » (en réponse, tout particulièrement, à un de mes nouveaux correspondants inconnus du Oui de la "droite" libérale qui est devenu, pour moi, un véritable ami).

       Comparez, en effet, la rédaction de l’article 314 du projet de Constitution et celle proposée par Maurice Allais. L’une et l’autre sont à peu près de la même longueur. La seconde est un énoncé de droit, la première illustre à la perfection le sens que je donne à l’expression, sous la forme d’un énoncé de droit, de l’idéologie du contre-Droit.

       Une précision, d’abord : je ne conteste absolument pas que l’idéologie de l’économisme le plus libéral requière, ne serait-ce que pour ne pas se contredire, une indispensable dose de réglementation, réglant, non seulement le bon fonctionnement de la concurrence, mais aussi les conditions sociales de la plus haute compétitivité dont il peut paraître évident qu’elle s’accommode mieux de la paix que de la guerre, du moins celle intérieure à une société qui se veut concurrentielle, qu’il s’agisse d’une collectivité nationale ou supranationale ou de n’importe quelle entreprise privée.
En d'autres termes, le libéralisme n'a pas de vocation anti-sociale. Et il peut y avoir des circonstances où il se révèle plus efficacement social que le socialisme.
La "droite" et la "gauche" idéologiquement "libéralistes" s’entendent à merveille pour se caricaturer mutuellement, sur le fond de cette ambivalence : elles se caricaturent d’autant plus grossièrement qu’en réalité, leur opposition n’est plus qu’affaire de nuances, à peu près aussi politiquement indifférentes que celles qui distinguent, aux USA, les démocrates et les républicains. Or c’est à ce dilemme là que le projet de Constitution rêve justement de nous acculer (cf. plus haut : Lecture critique d’un commentaire de l’Exposé des arguments, point 4).

       Mais où la caricature atteint à l’absurde, c’est dans l’effort de la "gauche" (pour "mordre" sur l’électorat de "droite" sans y perdre toute identité) de se démarquer du libéralisme (dont elle ne parle jamais) en ne s’en prenant qu’à ce qu’elle nomme l’ultralibéralisme (dont le projet de Constitution serait exempt). Voilà le point sur lequel je voudrais essayer d’en arriver à l'essentiel, du moins en ce qui regarde cette Constitution. Car j'ai entendu souvent revenir l'argument : «Comment peut-on taxer d'ultra-libéral un texte auquel on reproche, dans le même temps, son inflationnisme juridique? N'importe quoi ! etc.»
C'est un redoutable leurre, me semble-t-il, de s'imaginer que le bon critère de discrimination, entre libéralisme et ultra-libéralisme, se réduirait à une différence quantitative de réglementations nécessaires dans l'un et l'autre cas : c'est-à-dire une quantité moindre dans le second, et idéalement nulle.
Je voudrais mettre en évidence que, dans la situation présente, c'est juste l'inverse qui est vrai : qu'autrement dit, tout comme le libéralisme suppose des règles (y compris sociales), pour la même raison, l'ultra-libéralisme, appliqué à la réalité européenne, suppose, à son tour, un "ultra-réglementarisme" –précisément celui qui exige la constitutionnalisation de la partie III du projet (dérobée, soit dit en passant, à la lecture du peuple espagnol, ce qui frappe de nullité son Oui à un référendum dont je rappelle, par ailleurs, qu'il n'avait de valeur que consultative).

       Il n'y a rien dans ma thèse de très paradoxal.
       Si on écrit une Constitution, c'est bien pour modifier, en cela même, l'état de fait – ou de droit – qu'elle est censée régir. Et chacun sait que la première des conditions, pour changer une situation donnée, c'est d'abord de la prendre en compte et même, autant que possible, de s'y conformer : autant que possible et d'autant plus minutieusement que l'on vise à un changement plus profond.
Prenons une image : si je veux dénouer un noeud, il me faut bien m'efforcer, plus ou moins à tâtons, de reprendre, en sens inverse, la ligne du mouvement qui a permis de le nouer. Or il faut comprendre que dans la visée de l'ultra-libéralisme, le droit est un noeud : un noeud qui entrave le libre jeu de la concurrence et du marché. Un noeud qu'il s'agit donc, avant tout, de dénouer. Le principe de ce mouvement qui consiste à se délier du Droit, c'est précisément là ce que j'appelle contre-Droit.
Dénouer un noeud, l'expérience nous apprend qu'en général, ce n'est pas aussi facile que de le nouer. C'est encore moins facile à l'échelle de l'Europe où, à vingt-cinq Etats-membres, on n'a plus affaire à un noeud, mais à un véritable "sac de noeuds" ! Que ne ferait-on pas cependant, pour un pareil (inédit!) retour à la barbarie !

       Tout ce que j'essaye de dire, en effet, c'est simplement qu'en assimilant la concurrence, non seulement à un droit, bien sûr, mais à un principe à la fois normatif et déterminant de toute action politique et de toute initiative économico-sociale, cette Constitution nous oriente sans équivoque dans le sens d'une guerre mondiale, au moins économique, où l'Europe qu'elle aura en même temps désarmée pour une telle guerre (Argument 13) et militairement inféodée à l'OTAN (Argument 14) ne pourra que voir se dissoudre son identité dans une exacerbation des rivalités nationales (Argument 19, et Lecture critique d'un commentaire de l'Exposé des arguments, points 8 et 9, sur l'inclusion littérale de la directive Bolkestein dans le projet de Constitution).

       Sur un exemple qui, on l'a montré, est bien plus qu'un exemple, Maurice Allais nous renvoie au "bon sens" : à l'urgence de "renouer" avec le Droit, c'est-à-dire de renouer entre nous ce lien qui seul peut nous unir dans notre diversité face aux autres, qui le peut seul, mais surtout le doit, parce qu'il n'y a que sur cet idéal d'un impossible règne absolu du Droit que se fonde ce qui nous anime, notre volonté, notre humanité, notre raison d'être et d'agir –notre désir d'Europe, d'une Europe, en effet, digne d'être désirée.

 




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