Retraites. Prendre les sociaux-libéraux de vitesse
entretien de J. Généreux avec Alexis Lacroix
Marianne : Quelles oeillères idéologiques marquent, d'après vous, le débat actuel sur les
retraites ?
Jacques Généreux : La majorité de nos élites soutient que le seul moyen de sauver les retraites est d'allonger la durée de cotisation. C'est hallucinant puisque, de toute évidence, étant donné nos capacités actuelles d'emploi des salariés âgés, cette solution aura pour seul effet certain une baisse dramatique du niveau des pensions. La durée effective de cotisation ne se décrète pas, sauf si le gouvernement est disposé à garantir le plein-emploi permanent. Il pourrait le faire ! Dans mon dernier livre, Le Socialisme néomoderne, j'ai proposé une " Sécurité sociale intégrale ". Ce système garantirait à tous un salaire tout au long de leur vie active, qu'ils soient employés, en formation ou détenteurs d'un emploi public en attendant de trouver un emploi privé. Mais de cela la droite ne veut évidemment pas entendre parler. Donc, compte tenu de notre capacité d'emploi et de l'évolution démographique, le seul moyen qui garantit l'équilibre financier des retraites, sans baisse des pensions, c'est l'augmentation des ressources. Cela suppose, d'après les dernières projections du COR, une faible hausse du taux de cotisation d'environ 0,25 point par an jusqu'en 2050. Ce n'est vraiment pas un choc salarial insoutenable pour notre compétitivité, et cela ne ferait que rendre progressivement au travail les revenus qui en ont été détournés vers les profits depuis 1983.
Comment expliquer que l'on n'ait pas appliqué cette solution ?
J.G. : Sans doute par la congruence de plusieurs " pensées uniques ". Depuis les années 90 et le gouvernement Juppé, la droite néolibérale a un projet bien précis : la chasse au temps libre rémunéré - congés, retraites, RTT -, qui est évidemment du temps perdu pour le capital. Cela exclut a priori tout allongement du temps de retraite financé par des cotisations. Au service de son projet, la droite s'efforce d'ancrer la certitude qu' " on ne peut pas faire autrement ", à cause de la mondialisation qui nous obligerait à comprimer nos charges fiscales et sociales. Dans tous les pays européens qui ont un système social fort, les néolibéraux n'ont ainsi cessé d'installer les conditions d'une destruction du pacte social forgé à la Libération. Leur méthode ? Vider les caisses de l'Etat et de la Sécu à coups d'exonérations et de " cadeaux " aux riches, pour nous persuader que nous vivons au-dessus de nos moyens. Donc, ne nous y trompons pas : si cette droite donne parfois l'impression de zigzaguer, sa stratégie véritable obéit à un projet intangible.
Où en est-elle, à présent, de son plan ?
A la « phase 2 » de son projet. Après avoir ancré dans les esprits la conviction que l’Etat ne peut plus faire grand-chose, il est temps d’entamer la purge effective des systèmes sociaux, par la promotion des assurances privées et de retraites publiques plus faibles.
Et la gauche ? Quelles stratégies oppose-t-elle à cette pensée unique libérale ?
J.G. : La gauche n'a pas su mettre en oeuvre une réforme juste et durable des retraites, car elle est paralysée par le clivage interne au Parti socialiste. Depuis la fin des années 80, avec le gouvernement Rocard, une nouvelle gauche prétendument " moderne " est persuadée qu'en raison de la compétition imposée par la mondialisation nous sommes condamnés à travailler plus intensément et plus longtemps. Elle suit les recommandations de la " troisième voie " théorisée en Grande-Bretagne par Anthony Giddens - le penseur du blairisme -, à savoir que la seule façon de défendre les valeurs de gauche consisterait bizarrement à mettre en oeuvre les politiques néolibérales ! Cette gauche-là s'est donc résignée à l'idée que la seule réforme des retraites raisonnable est celle qu'a concoctée la droite.
Une gauche, donc, résignée à ne pas retrouver les fameuses marges de manœuvre recherchées depuis le rapport Charpin ?
Une gauche social-libérale tellement contaminée par la fable néolibérale des « marges de manœuvre disparues » qu’elle n’ose même plus penser la moindre hausse des ressources publiques pour financer ce bien public qu’est une bonne et longue retraite pour tous. Dominique Strauss-Kahn, au moment de la réforme Fillon, en 2003, laissait déjà entendre qu’il faudrait bien se résoudre à une réforme prescrivant de travailler plus. Par métastases successives, l'idée d'un allongement de la durée de cotisations a gagné la plupart des leaders socialistes. Or, dans cette course à la « modernité », la droite a une longueur d’avance sur la gauche social-libérale ; c’est qu’à la différence de cette dernière, elle ne croit pas à la fable qu’elle raconte : elle sait bien, elle, que c’est sa politique qui façonne la tournure de la mondialisation, et non l’inverse.
Propos recueillis par Alexis Lacroix
Jacques Généreux est professeur à Sciences-Po et secrétaire national à l'économie du Parti de gauche. Auteur du Socialisme néomoderne (Seuil, 2009), il publiera en septembre la Grande Régression (Seuil).
Ceci est la version intégrale d’un entretien publié sous une forme légèrement abrégée dans : Marianne, no. 680 / IDÉES, vendredi 30 avril 2010, p. 86 / Débat
Bonjour
A quelles conditions pourriez-vous être beaucoup plus présent à la TV et sur les ondes pour aider Jean-Luc Mélanchon à convaincre nos concitoyens qu'il n'y a pas de problème des retraites qui ne trouve sa solution dans une plus juste répartition des richesses produites ?
Une pétition nationale pour que vous soyez invité par les médias un peu plus souvent tout de même ?
Bien cordialement
jean-pierre brochier