La défaite des socialistes à l'élection présidentielle est certes moins humiliante que ne le fut celle du 21 avril 2002 ; elle est néanmoins plus sévère et plus troublante. Comme en 2002, la gauche est battue dès le premier tour et plus sévèrement, puisque, toutes tendances confondues, elle recule de 7 points. Cette déroute est aussi plus troublante, car la présidentielle semblait pour la gauche plus gagnable qu'en 2002.
L'orientation néolibérale de la droite française a été lourdement sanctionnée aux élections intermédiaires de 2004, et, dans une certaine mesure, aussi par le non au référendum de mai 2005. La droite devait assumer un bilan assez affligeant sur tous les terrains. La candidate socialiste avait donc l'avantage du challenger qui peut incarner le changement et le rejet d'une politique de casse sociale vivement contestée par les mouvements sociaux. L'électorat de gauche, traumatisé par le choc du 21 avril, était mobilisé et prêt au vote utile socialiste. La jeunesse des banlieues s'inscrivait massivement sur les listes électorales pour contrer le ministre de l'Intérieur, qui l'avait insultée. Ce contexte semblait encore à l'automne stimuler une demande politique qui inclinait à gauche. Et, du côté de l'offre politique, tout se présentait au mieux. Au lieu de concurrencer la candidate socialiste, Christine Taubira et Jean-Pierre Chevènement faisaient cette fois campagne pour elle. Même la gauche extrême était désormais disposée au report des voix sans condition pour faire barrage à Sarkozy.
Comment se peut-il alors qu'une candidate donnée comme une possible et logique gagnante à l'automne se retrouve en mai à la tête de la plus grave défaite de la gauche depuis quarante ans ? Deux diagnostics s'opposent et commandent deux visions d'avenir pour la gauche. Pour les uns, le curseur de l'opinion française a viré à droite. Pour les autres, c'est la candidate socialiste qui a viré à droite, ou nulle part, et privé ainsi la gauche d'une représentation politique.
Pour les premiers, donc, Nicolas Sarkozy a remporté une victoire idéologique, face à une gauche qui n'a pas saisi à temps la «droitisation» des Français et n'a pas opéré la nécessaire «modernisation» de son discours. L'avenir de la gauche n'est donc plus à gauche ! Il ne servirait à rien au PS de s'allier encore à des satellites en voie de disparition ; son avenir est au centre, dans l'alliance entre un parti social-démocrate et un parti démocrate-chrétien. Dans sa version brute, ce diagnostic est trop grossier. Comment une «droitisation» de l'électorat se serait-elle opérée en quelques mois ?
Certes, la victoire de Sarkozy est celle d'un discours
idéologique qui a revendiqué les valeurs d'une droite néolibérale et
néoconservatrice (travail, famille, patrie, responsabilité individuelle,
effort, mérite, etc.). Dans
C'est donc aussi une demande de régulation politique du monde et de l'économie, aspiration de gauche s'il en est, qui s'est trouvée validée par les électeurs. Dès lors, la défaite de la gauche tient probablement plus au fait que cette aspiration ne s'est pas trouvée incarnée par la candidate socialiste, et à ce qu'aucune idéologie n'est venue invalider celle de l'individu méritant. Ségolène Royal ne s'est jamais posée comme la chef de file d'une gauche combattant une droite néolibérale. Loin de revendiquer une idéologie de gauche aussi consistante que l'était celle de Nicolas Sarkozy, elle a semblé à la remorque de son rival en ne parlant que d'ordre, de valeur travail et de refus de l'assistanat. L'impressionnisme, l'incohérence et l'instabilité de son discours économique et social ont fait le reste, face aux propositions extrêmement simples et jamais sérieusement contestées de son rival.
L'élection était donc peut-être gagnable par un candidat... de gauche, tout simplement ! Un candidat s'appuyant sur son camp au lieu de s'en démarquer, articulant avec force et cohérence une conception alternative de la société et du progrès, démontrant l'incompatibilité entre le vernis social de Nicolas Sarkozy et sa volonté indestructible de rendre aux riches l'argent public et à chacun la «liberté» de renoncer à ses droits sociaux. La gauche a donc sans doute moins besoin d'une ample refondation idéologique que de retrouver sa profonde consistance idéologique. Il ne lui manquerait alors que deux choses pour remettre en chantier la société solidaire du progrès et combattre la «dissociété» des individus. Primo, des militants et des cadres socialistes qui renoncent enfin à reconduire les dirigeants, la stratégie centriste et l'inconsistance idéologique qui les conduisent à la défaite. Secundo, construire à gauche un grand parti qui réunisse les divers courants partageant l'aspiration au progrès continu d'une société de solidarité, où l'intérêt général prime sur les profits privés, dans le cadre d'une économie de marché fortement régulée par le politique. C'est là une perspective qui peut rassembler les progressistes, du centre gauche aux communistes, et jusqu'aux «antilibéraux» qui préfèrent oeuvrer à des progrès biens réels qu'exploiter indéfiniment le seul marché de la protestation.
Mais construire ce qui paraît si souhaitable restera longtemps hors de portée si trop de dirigeants du PS persistent à penser l'avenir dans une alliance entre les centristes et un parti social-démocrate débarrassé de son aile gauche. Cette vision inspirée d'une histoire ancienne et étrangère n'ouvre d'autre perspective que l'explosion du PS en deux forces concurrentes. La fraction socialiste authentique capterait alors l'essentiel de l'électorat ancré à gauche, et le parti social-démocrate ne tarderait pas à être absorbé par le parti centriste. Faudra-t-il alors, pour revoir un jour un gouvernement de gauche, attendre que passe la génération centriste, le temps que la génération des jeunes militants qui a fait retirer le CPE remplace celle des ministres socialistes qui ont dit oui à la constitutionnalisation du néolibéralisme en Europe ? Une fois encore, ce sont les militants socialistes qui tiennent l'histoire entre leurs mains.
(1) Seuil, 2006.
La défaite du 6 mai, c'est celle d'une candidate accompagné de son parti en campagne depuis 6 mois, face à un candidat armé de son parti en campagne depuis 5 ou 6 ans.
Pour moi le tournant se situe en 2001, lors des municipales où la gauche est sortie défaite, incapable de résister au discours sécuritaire et anti-fiscaliste de la droite. Depuis la droite n'a cessé de poursuivre dans cette voie etd e peaufiner son discours. Comme vous le dite dans votre dernier livre, elle n'a plus grand chose à voir avec la droite républicaine des trente glorieuses.
Autre chose à prendre en compte : l'inversion du calendrier électoral.
Moi qui pensait que le PS s'était construit dans la contestation du régime de la V° République, je dois constater que Mitterrand s'en est plus qu'accommodé et que "YoYo" a accentué la présidentialisation.
En plaçant la présidentielle avant les législatives, il a offert à Sarkozy l'opportunité d'endosser la posture de la rupture. A l'inverse que se serait-il passé, si chaque député UMP sortant avait du défendre dans sa circonscription le bilan du quinquennat, celui de la canicule, de la réforme des retraites, des émeutes et du CPE.
Je me suis toujours demandé pourquoi les socialistes délaissaient les questions de réformes institutionnelles lorsqu'ils étaient au pouvoir, pour ne s'en préoccuper qu'une fois dans l'opposition.
En guise de conclusion, je dirai que la gauche ne s'est jamais remise de 2002, notamment parce qu'elle n'a jamais regardé cet épisode en face, le réduisant de fait à une simple péripétie, qu'il fallait oublier au plus vite.
Pour moi, le sursaut de la gauche n'est pas du à une volonté d'être plus offensif face à une droite agressive, mais seulement aux erreurs de celle-ci.
La gauche aurait-elle pu prétendre gagner les européennes ou les régionales, s'il n'y avait pas eu l'épisode de la canicule?
Car le tournant de 2003 n'est pas celui de la bataille des retraites (perdue ... et pan une nouvelle défaite pour le mouvement social), mais celui de la gestion désastreuse (pour ainsi dire stalinienne !) de la canicule et de son cortège de décès.
Avant ne parlait-on pas d'une gauche "chamalow" ?
Et enfin, ce fameux référendum exprimant moins un "Non" de gauche, qu'un "Non" à gauche, ne surestimons pas sa portée. Tandis que nous nous gaussions d'une affiche où Hollande et Sarkozy voisinaient, nous n'avons pas pris le temps de voir qui étaient nos voisins de tablée, au risque de nous croire seuls du bon côté.
Royal a mené une campagne curieuse, difficile à suivre, avec des choix bizarres (mon dieu cette vilaine affiche du 1er tour), mais elle a sans doute ouvert une voie : celle de la consultation massive des militants et des sympathisants. Nous avons retrouvé le chemin du dialogue avec notre électorat, il ne faut pas s'arrêter là. La gauche que j'ai vu dans cette campagne est à représentative de la société française, encore faudra-t-il lui permettre de continuer à s'exprimer. C'est là tout le travail qui nous attend, si l'on ne veut pas démarrer notre campagne pour 2012 six mois avant l'élection.
Ps : j'ai cru la victoire possible jusqu'à la veille du 1er tour, date à laquelle j'ai fini de lire un livre terrible et lucide édité par la Fondation Jean Jaurès Le descenseur social http://www.jean-jaures.org/PUB/ledescenseursocial.pdf
La 3ème partie sur les opinions dans les milieux populaires est édifiante et l'on perçoit les discours de Sarkozy avec un regard différent.