Voilà bien longtemps que je n’étais monté à la tribune de mon parti avec la certitude de n’avoir dans l’auditoire que des compagnons de route, et aucun adversaire. Cette certitude, bien nouvelle pour qui vient de quitter le PS, va nous permettre désormais d’être bien moins occupés à nous convaincre nous-mêmes qu’à nous adresser enfin aux Français. Alors, pour profiter aussitôt de ce changement de perspective – et vous m’en excuserez chers camarades – je voudrais dès aujourd’hui m’adresser plutôt à nos concitoyens qui nous regardent ou nous écoutent en ce moment.
Mes chers concitoyens,
À moins que vous n’apparteniez à cette infime minorité qui profite ou se réjouis du malheur des autres, vous savez bien que notre société va mal.
Vous savez bien que les prétendues vertus de la libre compétition, du libre échange, de la déréglementation dégénèrent en guerre économique générale qui se solde toujours par les crises financières, les crises économiques dont vous tous payez finalement le prix.
Vous savez bien qu’un système entièrement voué à la maximisation de la seule rentabilité des capitaux ne peut pas se développer dans l’intérêt général.
Vous savez bien qu’en réduisant les services publics et sociaux, pour redistribuer l’argent public aux plus riches, on ne prépare pas un meilleur avenir pour nos enfants, mais une société brutale d’individus dressés les uns contre les autres.
Vous savez bien qu’au nom de la compétition, on vous demande toujours plus d’effort au travail, et le sacrifice de votre temps libre, de votre vie de famille, de votre santé, qu’au nom de la compétitivité, ce capitalisme brutal, après trois siècles de « progrès » économique tue aujourd’hui encore, oui, je dis bien tue des ouvriers au travail.
Vous savez bien que cette compétition effrénée pour produire toujours plus, au profit de quelques uns, est en train de détruire notre écosystème et nous empêchera de léguer à nos enfants un monde simplement vivable.
Vous savez bien qu’on ne surmontera pas la violence juvénile en construisant toujours plus de prisons pour nos enfants, au lieu de leur construire des centres de loisir et des logements, au lieu d’investir dans leur éducation, dans leur encadrement par des adultes plus nombreux et formés à cet effet.
Comment puis-je savoir qu’une large majorité d’entre vous sait bien tout cela ? Mais, tout simplement parce que vous n’avez cessé de l’exprimer par le vote.
À chaque fois que le PS vous a tenu ce discours de gauche, cette promesse d’une opposition sans faille à la régression sociale, à la société du fric et de la compétition, vous avez fait un triomphe aux candidats socialistes. Mais quand ces candidats vous disent, en 2002, que leur « projet n’est pas socialiste », en 2005, qu’ils sont d’accord avec la droite pour l’Europe de la libre concurrence, en 2007, que leur premier ministre idéal serait François Bayrou, et non une femme ou un homme de gauche, alors, à chaque fois, vous avez fui ces « socialistes » qui renoncent à mettre en œuvre votre aspiration à une société plus solidaire.
Malheureusement, partout en Europe, les socialistes et les socio-démocrates ont affiché ce même renoncement et, dès lors, presque partout ils ont été chassés du pouvoir. Ce n’est pas que les peuples soient passés dans l’autre camp ; c’est qu’ils ont le sentiment que la gauche est passée dans l’autre camp, qu’elle n’est plus à leur côté pour défendre leur soif de progrès.
Parfois, la social-démocratie s’est purement et simplement convertie aux valeurs et aux politiques de la droite. En France, la situation du PS est moins tranchée. De vrais socialistes - dont nous fûmes avec Jean-Luc Mélenchon, Marc Dolez et beaucoup d’autres - ont fait de la résistance mais sont toujours restés minoritaires. Dans les directions majoritaires, au mieux, il nous reste des socialistes qui conservent des velléités critiques à l’égard du capitalisme et du néolibéralisme. Mais, au nom d’un prétendu « réalisme » ils restent verrouillés par leur conversion à la libre concurrence, au nom de leur « identité européenne », ils refusent de mener le combat pour la réorientation de l’Union européenne qui est devenue le premier temple du culte destructeur des marchés libres.
Ce verrou là commande tout le reste. Les plus beaux discours de gauche, ne sont qu’illusion ou tromperie, si l’on renonce à limiter la concurrence et le libre échange pour faire prévaloir la coopération des nations, pour préserver les services publics, pour en finir avec le dumping fiscal et le dumping social.
C’est pourquoi, après avoir tenté, des années durant, de faire sauter ce verrou au PS, et parce que nous constatons notre impuissance à le faire sauter par le vote des militants, nous allons le faire exploser par le vote du peuple, dès les prochaines élections européennes. Nous ne prétendons pas le faire seul, mais avec toutes les autres forces de gauche résolue à mener ce combat.
Alors je sais bien que les distributeurs patentés en label de modernité (qui ignorent d’ailleurs le sens même de ce terme), vont nous dire que nous cherchons nos alliances dans de bien vieilles familles politiques. Mais les esprits cultivés savent bien que presque toutes les idées du monde, sont vieilles comme le monde. L’important est de savoir faire le tri entre les idées fausses et les idées justes.
La sagesse populaire nous dit d’ailleurs que c’est dans les vieux pots que l’on prépare les meilleures soupes. Et notre bon sens politique ajoute que si nous voulons préparer une soupe de gauche, mieux vaut la faire mijoter dans un pot de gauche avec des chefs de gauche. D’autres ont choisi le vieux pot de la social-démocratie européenne. Et ce n’est pas sa vieillesse qui nous dérange, mais sa fragilité face aux vents de l’histoire ; il s’est fêlé de toute part face à la crise économique des années 1970, face à l’offensive néolibérale des années 1980 et devant le défi d’une réunification de l’Europe, après la chute du mur de Berlin. Alors le voilà ouvert à tous les courants d’airs, et c’est sans doute pourquoi nos élites social-démocrates semblent n’avoir plus que « l’ambition des feuilles mortes », qui, disait Milan Kundera, « est d’aller dans le sens du vent ».
Eh bien, pour nous, la seule ambition vraiment moderne, n’est pas d’aller dans le sens du vent, elle est de guider le vent par le souffle de la parole et de l’action politique.
Pour conclure, mes chers concitoyens, je vous annonce la bonne nouvelle de ce jour :
Vous n’êtes plus orphelins d’une représentation politique. Avec un parti tout simplement « de gauche », un parti uni dans un front commun avec les autres forces de gauche qui veulent reprendre le chemin du progrès social, vous savez désormais que, dès le mois de juin, vous pourrez vraiment faire entendre votre désir d’une société meilleure, d’une république sociale, laïque et vraiment démocratique, d’un monde tout simplement humain.
Bonjour,
Bravo pour cette prise de position claire et cohérente. Pendant des années, je me suis demandé quand émergerait ce parti qui oserait parler de nationalisations, de redistribution et de justice sociale à la fois sans complexe et sans s'enfermer dans une posture de rebelles romantiques.
Vous avez tous répondu à cet espoir hier.
Merci